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de genièvre ; s’il est riche, sa bouteille de vin ; et alors, pour peu que le lieu lui plaise, que sa femme ne cherche pas trop à l’entraîner dehors ou que de bons voisins le retiennent, il court grand risque d’oublier le proverbe que son père lui a appris et qu’il apprendra lui-même un autre jour à ses enfans :

Als de vièn is in der man,
Dan is de wièsheid in de kan
.

« Quand le vin est dans l’homme, la sagesse est dans le flacon. »

C’est, du reste, une chose curieuse que ces kermisse avec leurs petites boutiques en plein air, leurs voitures de charlatans, et tout ce monde endimanché qui accourt des environs ; chaque ville a la sienne, et même chaque village un peu important. Les fourneaux des marchandes de gauffres, les petites échoppes ambulantes où l’on vend des liqueurs, en sont un des élémens essentiels. À Amsterdam, la kermisse dure un mois, et, du matin au soir, sur les places publiques, la graisse fondue pétille dans la chaudière, les crêpes s’amoncèlent sur le plateau d’étain, et le violon crie dans les tavernes. Heureuse, oh ! bienheureuse alors la jeune servante qui a, de par la ville, un cousin ou un fiancé pour lui donner le bras, la promener en grande toilette à travers les magnificences du Kalverstraat, les délices culinaires du Botermarkt, et lui faire savourer le soir le rosbeef du nachthuys[1]. Quant à celles que la providence n’a pas encore gratifiées d’un cousin ou d’un fiancé, hélas ! dans ces jours de joie universelle, elles sont bien délaissées, et l’on en a vu plus d’une réduite alors à payer un homme pour la conduire de rue en rue, tant par jour et tant par heure, comme un cabriolet. Si cet homme a un peu bonne mine, s’il est habillé à neuf, s’il porte une épingle en or à sa chemise, des gants de castor et un chapeau de feutre, si de plus il est propriétaire d’un parapluie, il ne loue son bras et son savoir-vivre qu’à un prix énorme, et la pauvre fille dépense parfois, en quelques promenades de kermisse, toutes ses économies de l’année.

Mais revenons au paysan. C’est une charmante chose que sa petite maison en briques, avec son enclos, sa plantation d’arbres, son canal au bord duquel est amarrée une barque, et ses nids de chaume et de rameaux, où chaque année la cigogne revient, hôte chéri, annoncer le printemps. Tout, dans cette demeure, est rangé avec soin, et entretenu avec une minutieuse propreté ; les fenêtres sont lavées

  1. Nachthuys (maisons de nuit), cabarets qui ne s’ouvrent qu’à dix heures du soir, et se ferment à cinq heures du matin.