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UN HIVER AU MIDI DE L’EUROPE.

brebis dont la laine blanche et touffue avait six pouces de long, une de ces brebis comme on n’en voit chez nous que sur la devanture des marchands de joujoux ou sur les éventails de nos grand’mères. Cette excellente compagne lui rendit un peu de calme, et nous donna elle-même un lait assez crémeux. Mais à elles deux, et quoique bien nourries, elles en fournissaient une si petite quantité, que nous nous méfiâmes des fréquentes visites que la Maria-Antonia, la niña et la Catalina rendaient à notre bétail. Nous le mîmes sous clé dans une petite cour au pied du clocher, et nous eûmes le soin de traire nous-mêmes. Ce lait, des plus légers, mêlé à du lait d’amandes que nous pilions alternativement, mes enfans et moi, faisait une tisane assez saine et assez agréable. Nous n’en pouvions guère avoir d’autre. Toutes les drogues de Palma étaient d’une malpropreté intolérable. Le sucre mal raffiné qu’on y apporte d’Espagne est noir, huileux, et doué d’une vertu purgative pour ceux qui n’en ont pas l’habitude. Un jour, nous nous crûmes sauvés parce que nous aperçûmes des violettes dans le jardin d’un riche fermier. Il nous permit d’en cueillir de quoi faire une infusion, et, quand nous eûmes fait notre petit paquet, il nous le fit payer à raison d’un sou par violette, un sou majorquin, qui vaut trois sous de France.

À ces soins domestiques se joignait la nécessité de balayer nos chambres et de faire nos lits nous-mêmes, quand nous tenions à dormir la nuit ; car la servante majorquine ne pouvait y toucher sans nous communiquer aussitôt, avec une intolérable prodigalité, les mêmes propriétés que mes enfans s’étaient tant réjouis de pouvoir observer sur le dos d’un poulet rôti. Il nous restait à peine quelques heures pour travailler et pour nous promener ; mais ces heures étaient bien employées. Les enfans étaient attentifs à la leçon, et nous n’avions ensuite qu’à mettre le nez hors de notre tanière pour entrer dans les paysages les plus variés et les plus admirables. À chaque pas, au milieu du vaste cadre des montagnes, s’offrait un accident pittoresque, une petite chapelle sur un rocher escarpé, un bosquet de rosages jeté à pic sur une pente lézardée, un ermitage auprès d’une source pleine de grands roseaux, un massif d’arbres sur d’énormes fragmens de roches mousseuses et brodées de lierres. Quand le soleil daignait se montrer un instant, toutes ces plantes, toutes ces pierres et tous ces terrains lavés par la pluie, prenaient une couleur éclatante et des reflets d’une incroyable fraîcheur. Nous fîmes surtout deux promenades remarquables.

Je ne me rappelle pas la première avec plaisir, quoiqu’elle fût ma-