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cueillies, et de tant d’adorables pages du début des Confessions, avec le Rousseau des Charmettes.

Que si l’on ajoute à cette influence d’autant plus heureusement littéraire qu’elle y visait moins, des lectures entrecoupées de Brantôme, de Bayle[1], de Montaigne, de Rabelais, tomes épars dans l’atelier de son père et que l’enfant avait lus et sucés au hasard sans trop comprendre, mais parfaitement captivé par les couleurs du style ou par cette naïveté que Fénelon osait bien regretter, on reconnaîtra combien est véritablement et sincèrement française la filiation de M. Töpffer, et à quel point nous avons droit de la revendiquer.

Les études classiques qu’avait voulues le père étaient terminées ; l’âge de la profession tant désirée était venu ; la peinture allait ouvrir, développer enfin ses horizons promis devant le jeune homme, qui, de tout temps, avait croqué, dessiné, imité. Il se disposait à partir prochainement pour l’Italie, lorsqu’une affection des yeux, que l’on crut d’abord passagère et qui n’a jamais cessé depuis, vint suspendre et ajourner encore une fois le rêve. Deux années de vain espoir et de tentatives pénibles suivirent ; elles furent cruelles pour celui qui s’en était promis tant de joie : décidément la peinture lui échappait. C’est vers ce temps que, sous prétexte de consulter les hommes de l’art, mais en réalité plutôt pour tromper ses anxiétés par l’étude, il se rendit à Paris, n’y consulta personne, renonça tout bas et avec larmes à la vocation d’artiste, et, renouant avec les lettres, s’appliqua à devenir un instituteur éclairé. Ce séjour à Paris date de 1819 à 1820 ; de jour, il suivait les cours publics ; il allait écouter Talma le soir. Les anciens et la littérature moderne faisaient alors l’objet de ses études. Déjà vendu à Shakspeare, il épousait dans son cœur ces idées littéraires nouvelles qui commençaient à poindre ; au Louvre, il se rangeait secrètement pour la Méduse de Géricault contre le Pygmalion de Girodet. Cette crise un peu fiévreuse n’eut qu’un temps. De retour à Genève, sous-maître dans un pensionnat d’abord, puis à la tête d’un pensionnat de sa propre création, père de famille, finalement appelé à occuper la chaire de Belles-Lettres dans l’Académie, c’est du sein d’une vie heureuse et comblée, et comme unie en calme à son Léman, que se sont échappés successivement et sans prétention les écrits divers, tous anonymes, dont plus d’un nous a charmé.

  1. Le Dictionnaire dans lequel Jules (Histoire de Jules, première partie) trouve l’histoire d’Héloïse, n’est autre que celui de Bayle.