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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

un appui dans le peuple, et convoque l’assemblée des citoyens, selon un usage antique interrompu depuis les troubles. Le peuple s’attendrit à ses plaintes, mais il redoute cette insolente et tumultueuse noblesse, et n’ose dire mot, malgré les exhortations des partisans de la famille royale. Alors se lève l’interprète des dieux, le vieillard pacifique, qui essaie de calmer les haines, de concilier les esprits, au nom de Jupiter, qui a exprimé sa volonté par des signes dans le ciel, par le vol des oiseaux ; mais en vain. Quand il a fini son pacifique discours : « Va-t-en maintenant prophétiser à tes enfans[1], lui crie l’incrédule Eurymaque ; va les empêcher de se faire mal ; c’est à moi qu’il appartient de prophétiser ici ! Il vole bien des oiseaux sous les rayons du soleil ; mais ils ne sont pas tous des oracles. Ulysse est mort ; puisses-tu l’être comme lui ! tu ne viendrais plus nous débiter en place publique de pareilles prédictions ! »

Ces faits simples, clairs par eux-mêmes, et de plus interprétés par des analogies historiques, expriment toute une société. La Grèce se trouvait donc dans des conditions jusqu’alors inouies. Parmi les grandes invasions antérieures, les unes, comme celles de l’Asie centrale, passaient comme des cataclysmes, et ne fondaient rien ; les autres déversaient, soit dans l’Inde, soit dans la Chine, des tribus conquérantes trop peu nombreuses pour ne pas se confondre bientôt dans l’ordre établi avant leur apparition ; de sorte qu’en définitive l’existence nationale n’était pas fort altérée ; la vie restait casée dans ses formes anciennes ; l’idée héréditaire, seule maîtresse du terrain, s’immobilisait, et l’esprit humain ne s’enrichissait point, car une idée ne produit rien si elle n’en choque une autre. En Grèce, au contraire, la combinaison fut pénible, le frottement long et meurtrier ; il y eut des transactions forcées. Les Hellènes reçurent des Orientaux la cité, la religion, l’écriture et les arts ; mais la cité, dont le ciment est l’obéissance, était devenue, par la solidité même de sa construction, écrasante pour les peuples ; les castes supérieures pressaient d’un poids énorme celles qui les supportaient par dessous, comme les assises des constructions cyclopéennes. Les Hellènes craignirent d’étouffer dans cette organisation étroite, pareils encore en cela aux guerriers francs, qui regardaient les villes comme des prisons ; c’est pourquoi ils n’acceptèrent la cité qu’à condition de briser les castes ; ils se réservèrent une liberté politique avec laquelle il fallut raisonner : de là des discussions d’intérêts rivaux, de là la recherche de quelques principes

  1. Ibid., 178. ἄγε νῦν, μαντεύεο σοῖσι τέκεσσιν, — οἴκαδ' ἰῶν…