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mais ce que je veux méditer moi seul et sans témoin, gardez-vous de le vouloir pénétrer par vos mille questions et de vouloir m’arracher mon secret. — Terrible fils de Kronus, réplique Junon, que dites-vous là ? Eh vraiment ! il y a bien long-temps que je ne vous demande rien, que je ne cherche à vous rien arracher. Vous délibérez bien tranquillement sur tout ce qu’il vous plaît. Mais à présent je crains fort que cette blanche Thétis, cette fille du vieillard des mers, ne vous ait pris pour sa dupe. Elle est venue s’asseoir ici de bon matin et embrasser vos genoux : je devine que vous lui avez formellement promis de venger Achille et de faire périr nombre de Grecs auprès de leurs vaisseaux. — Insupportable femme ! dit alors le dieu qui assemble les nuages ; tu devines toujours, et je ne puis t’échapper. Eh bien ! tu n’y gagneras rien ; seulement je te détesterai davantage, et tu auras lieu de t’en repentir. Si les choses en vont là, c’est que je le voudrai ainsi. Tais-toi maintenant, assieds-toi, et sois obéissante ; car tous les dieux ensemble ne te seraient pas d’un grand secours, si je levais sur toi ma main terrible. À cette menace, il fallait bien se taire, quoique à regret, et les dieux, défiés ainsi par le maître, n’étaient pas très contens non plus. Alors un autre personnage prend la parole ; c’est Vulcain, l’antique Phtha de l’industrieuse Égypte, et qui, dans Homère, est toujours un bonhomme fort naïf et un mécanicien fort habile ; vrai bourgeois, un peu ridicule à la cour, mais bon, conciliateur, et aimant la tranquillité. « Ah ! certes, dit-il à Junon, voilà de très fâcheuses affaires et qui ne sont plus tolérables ! Si vous allez vous quereller ainsi pour des mortels et criailler dans l’assemblée des dieux (mot à mot croasser), il n’y aura plus de plaisir à faire un bon repas, puisque tout va au plus mal. Eh bien ! moi, je conseille à ma mère, quoiqu’elle soit assez sage pour n’avoir pas besoin de mes conseils, d’avoir de la complaisance pour mon cher père Jupiter, afin qu’il ne la gronde plus et qu’il ne trouble plus nos festins ; car si ce maître du tonnerre voulait la précipiter du ciel, il est le plus fort, après tout ! Allons, dites-lui quelques douceurs, et à l’instant il redeviendra bon pour nous tous. » Et ce disant, le bon Vulcain s’élance vers Junon et lui met en main une coupe de nectar. « Oh ! patience, ma chère mère, prenez patience, malgré tout votre chagrin. Que je ne vous voie pas, moi qui vous aime, battue sous mes yeux ; car je ne pourrais vous défendre : il est si rude à la résistance, le maître de l’Olympe ! Déjà, l’autre fois, quand je venais à votre aide, il m’a pris par un pied et lancé du haut du seuil céleste. Pendant tout le jour je tombai, et vers le soleil couchant je me