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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

bouillir, les vaporise, les dissipe : ne sommes-nous pas ici à peu près au niveau de l’Arioste ? Mais ce n’est pas tout ; nous descendons encore : Minerve, attaquée par la lance de Mars, lui répond par un quartier de roche qui servait de borne entre les champs, et qu’elle lui jette sur la nuque ; il tombe ; son vaste corps couvre sept arpens, et Minerve se met à rire. Vénus a vu tomber celui qu’elle aime ; elle lui tend la main pour le relever ; mais Minerve, d’un vigoureux coup de poing sur la poitrine[1], l’étend à côté de son amant. D’autre part, Junon s’attaque à Diane : « Chienne audacieuse, tu oses me faire face ? Jupiter t’a placée comme une lionne entre les femmes ; va donc tuer des bêtes dans les montagnes, au lieu de te mesurer ici contre des forces supérieures. Si pourtant tu veux l’essayer, je pourrai t’apprendre combien je suis plus vigoureuse que toi. » Et cela dit, Junon, de sa main gauche, empoigne les deux mains jointes de Diane ; de la droite, elle lui arrache son carquois de l’épaule, et elle en frappe en riant les oreilles[2] de la pauvre fille, qui se tourne et se tord de cent façons pour se dérober à cette flagellation ; enfin elle s’enfuit en pleurant. Mercure, peu guerrier de son naturel, profite de l’occasion pour s’en tirer par une bouffonnerie ; il s’approche de la mère de Diane, et au lieu de compâtir à ses peines maternelles : « Latone, lui dit-il avec une malice de poltron, il ne fait pas bon se battre contre les épouses du grand Jupiter ; j’y renonce ; allez vite, et vantez-vous devant tous les dieux de m’avoir bien battu. »

Assurément on ne peut se flatter de saisir toutes les délicatesses d’une comédie créée en un temps si différent et si éloigné du nôtre. C’est le propre de la comédie d’être pleine d’allusions et de ne pouvoir s’expliquer parfaitement que par le détail des mœurs au milieu desquelles elle s’est produite. Par exemple, chaque ville, chaque localité ayant dans l’antiquité son culte spécial, son dieu-patron, il se peut que ces rôles ridicules, dont la poésie affublait tel ou tel dieu, fussent le résultat de rivalités, d’inimitiés locales ; chaque ville

  1. Πρὸς στήθεα χειρὶ παρχείῃ — ἤλασε… Il. XXI, 424. — Ce coup sur la poitrine de Vénus a paru à Bitaubé tellement contraire aux convenances, qu’il traduit : Pallas la touche de sa main terrible.
  2. Ἔθεινε παρ’ οὔατα μειδιόωσα

    ἘντροπαιλιζομένηνIl. XXI, 491. — Encore un passage gâté par le traducteur. Il n’a pas osé dire que Junon frappe sur les oreilles. « Elle saisit, dit-il, d’une main celle de cette faible rivale, et lui arrache de l’autre le carquois, dont elle touche avec un sourire cruel la déesse désarmée. » Je ne cite ces exemples que pour faire voir comment une erreur fondamentale sur l’esprit d’Homère a entraîné une foule d’erreurs de détail, ou même de falsifications.