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au-dessus de cette prostration générale, la chose paraissait si énorme, qu’on les considérait bientôt comme des dieux ; l’imagination orientale leur octroyait des proportions gigantesques, et l’histoire devenait mythologie. Ainsi, une invasion arabe qui avait partagé l’Égypte, et qui fut ensuite repoussée par une réaction de l’ancienne religion et de l’ancien ordre militaire, se symbolisa dans l’histoire fantastique de Typhon qui lacère Osiris, et qui est expulsé ensuite par Isis et Horus. Il en est de même des fables indiennes et persanes de Rama, de Vichnou et de Siva, de Djemschid, de Zohâc et de Feridoun. Ainsi l’homme était si peu pour ces peuples, et l’action divine absorbait si complètement à leurs yeux l’action humaine, que l’histoire n’exista jamais chez eux, parce qu’elle narre l’humanité, et qu’ils ne nous ont laissé que des mythes, parce que ces mythes sont par essence une confusion de l’humanité avec la divinité.

Le fatalisme panthéiste était donc la formule d’un ordre despotique et d’un sentiment de nullité qui flétrissait les ames. On conçoit que la Grèce, en s’élaborant dans un milieu tout autre, ait fait jaillir un dogme tout autre du sein des choses. L’invasion des Hellènes, les guerres et les brigandages séculaires qui en furent la suite, les goûts aventuriers de ces chefs de bandes et de ces pirates, ce genre de vie où rien n’était sanctionné par des lois, où la religion ne triomphait qu’en transigeant, où l’activité personnelle était chaque jour nécessaire pour se défendre, chaque jour utile pour s’agrandir ; ces faits généraux et les mille faits particuliers qu’ils engendrent nécessairement, ont dû nécessairement aussi pénétrer vivement l’homme, le héros, de sa valeur personnelle, de sa propre efficacité pour ainsi dire, que le danger, le succès, le malheur même, lui faisaient apprécier tous les jours. L’homme, le héros, se sentait libre dans le choix de ses actions, capable de se faire à soi-même son destin jusqu’à un certain point ; chaque jour il avait occasion d’appliquer cette idée à sa vie, car chaque jour il avait un but à suivre, des moyens à préférer, une volonté à mettre en jeu contre tous les accidens ; la nécessité même, trop vive à lui aiguillonner le flanc, le forçait à se révolter contre elle. Autant les prêtres orientaux proclamaient le destin dont ils se chargeaient d’interpréter les oracles, autant les aèdes exaltaient la personnalité humaine. Chantaient-ils les dieux ? c’était pour rattacher à eux la généalogie des guerriers, c’était pour élever l’homme à leur hauteur. Bien plus, dans les batailles, Diomède et Ajax pouvaient combattre et blesser dieux et déesses. Ainsi la jeune Grèce commençait par protester contre l’annulation de l’homme dans le