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PHILOSOPHIE D’HOMÈRE.

pythagoricienne. Héraclite fut l’homme des mystères plus qu’aucun autre, au point que Socrate avouait ne pas comprendre grand’chose dans ses écrits ; au point qu’on l’appelait le faiseur d’énigme (αινικτης), le ténébreux (σκοτεινος). Cette obscurité était volontaire ; c’était toujours l’idée orientale du langage symbolique, du langage-monstre (τερατολογια), des hiéroglyphes parlés ; c’était l’exploitation intéressée de la raison humaine au profit d’une caste savante. Et, pour que ses vues ne fussent aucunement douteuses, il avait déposé ses écrits dans le temple de Diane, sous la garde des prêtres, comme pour rappeler le Toth des Égyptiens. Son système sur l’homme fut une espèce de panthéisme idolatrique : « Les dieux, disait-il, sont des hommes immortels, et les hommes des dieux mortels. » Héraclite ne pouvait donc accepter le poète d’Ionie : aussi lui déclara-t-il la guerre ; il fallait, selon lui, « chasser ce poète de la lice et le souffleter. »

Ainsi les trois principaux chefs de l’école qui voulait rétrograder vers le passé oriental ont laissé le souvenir de l’incompatibilité qu’ils trouvaient eux-mêmes entre leur manière de voir et celle qu’impliquent les poésies homériques ; et si quelque esprit distingué, élevé parmi eux, venait à s’écarter de leur méthode mystérieuse et à chercher une philosophie plus positive, on le voyait comme par instinct revenir à l’admiration pour Homère. Démocrite fut dans ce cas, et il reconnaissait, selon Dion, dans la sagesse et la beauté des chants homériques « une nature divine et inspirée. »

En face de la poésie pythagoricienne se posa la philosophie de Thalès. Celle-ci, née dans l’Ionie comme les poésies d’Homère, et développée sous l’influence du même milieu, ne fut que la même pensée sortie de sa poétique adolescence, et se réfléchissant en elle-même pour se comprendre. De même que les premiers Iones avaient introduit, dans la cité déjà très complexe des Égyptiens et des Phéniciens, l’élément encore brute de leur organisation en tribus, de même la philosophie ionique eut pour fonction de ramener aux principes simples et élémentaires de la raison humaine la doctrine traditionnelle surchargée d’erreurs et de mensonges. Elle fut donc essentiellement libre, critique et observatrice ; elle chercha la théorie des choses sans préoccupation d’un but arrêté d’avance, sans vue particulière de politique ou d’association ; décrire les phénomènes, en lier les causes, en formuler les lois, telle fut son audacieuse entreprise. Elle s’égara dans les hypothèses cosmogoniques ; rien de plus simple : toute science jeune est téméraire et se croit en possession de la formule universelle. Mais enfin son point de départ était la