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VINETTI.

pression des traits du jeune homme. Elle demeura un instant incertaine, puis tout à coup, éclatant en un transport de joie frénétique : C’est lui, s’écria-t-elle, c’est lui ! — À ces mots je ne pus réprimer un geste de menace, je me levai, mais elle s’échappa du côté de la porte du village et disparut avec sa couvée.

Cette aventure m’avait irrité ; je rentrai à la maison, où Seph me suivit ; là je donnai cours à toute ma mauvaise humeur, et laissai ma bile se répandre sur toute cette race de bohêmes, de voleurs et de mendians. Seph se déclara ouvertement contre moi, et prétendit me tenir tête, soutenant que cette vie aventureuse, primitive, comme il l’appelait, avait aussi son bon côté, et me demanda si cette existence enfumée que nous menions dans une misérable cabane de pêcheurs était quelque chose de si beau, qu’on se donnât tant de peine à se la procurer. Ces paroles, le ton arrogant dont il les prononça, achevèrent de m’enflammer le sang ; je perdis toute patience, et, dans un transport d’indignation, je lui jetai au visage ma bible, qui se trouvait par hasard sous ma main, en m’écriant : — Ésaü, toi aussi, tu en es de cette race de Bohêmes et de mécréans vagabonds. — À ces mots, Seph tressaillit comme un jeune arbre qui, frappé d’un coup de hache à la racine, frémit jusque dans ses dernières feuilles. Pour moi, je pris ma canne et mon chapeau, et sortis, me dirigeant vers la côte où je vais tempêter à loisir durant mes heures de bourrasques, attendant là que le calme revienne, ce qui ne tarde guère d’habitude : rien ne vaut l’air de la mer pour balayer les impuretés qui souillent l’ame ou le sang.

Lorsque je rentrai à la nuit tombante, je trouvai Catherine seule à la maison. Seph n’était point là, je pensai à peine à m’informer de lui. Cependant Catherine, comme pour soulager son cœur, me raconta ce qui venait de se passer pendant mon absence. À l’en croire, Seph était resté jusque vers le soir sans dire une parole, immobile devant la fenêtre, et tambourinant des doigts sur les carreaux. Tout à coup elle l’avait vu se pencher, épiant comme si quelqu’un lui faisait signe du dehors, et bientôt après il avait quitté la chambre. Catherine s’était glissée derrière lui jusqu’à la petite porte de la cour, et, grimpant à la lucarne du toit, l’avait vu s’entretenir avec la vieille bohémienne. Cette femme avait parlé beaucoup, embrouillant ses discours de phrases étranges, inintelligibles, et répétant à tout propos que Seph était le fils d’un roi, qu’elle le reconnaissait à des signes certains qui ne l’avaient jamais trompée, à son nez aquilin, à ses sourcils de jais arqués jusqu’aux tempes, à ses deux dents de devant