Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/941

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
933
LES SETTE COMMUNI.

y songeant, et en me représentant ces intrépides montagnards, suspendus, au-dessus des précipices, à de frêles échelons qu’ils plantent successivement devant eux dans les interstices du rocher. Je les vois encore se servir avec une merveilleuse adresse du maillet au manche recourbé, à l’aide duquel ils enfoncent le morceau de bois qui leur sert de point d’appui, ou bien se cramponner aux racines pendantes et aux aspérités des rocs perpendiculaires. Quelquefois c’est la terre elle-même que l’on transporte par cette voie aérienne. Le paysan qui possède un champ fertile dans la vallée et un plateau stérile sur les hauteurs, dédouble en quelque sorte ce champ fertile, et va en étendre la moitié sur les mousses et les bruyères de la montagne. Quand des milliers de paniers de terre ont passé de l’un à l’autre champ, l’avoine, l’orge et la pomme de terre remplacent enfin les herbes sauvages, souvent même le roc nu. L’eau, comme la terre, voyage d’un étage à l’autre de ces monts élevés ; des rigoles l’amènent de réservoirs creusés à leurs sommets sur leurs versans, ou bien, quand ces réservoirs n’existent pas, un mécanisme peu coûteux et que l’eau elle-même met en mouvement, la transporte du fond des vallées sur les pentes voisines, qu’elle arrose et qu’elle fertilise.

Dans les villages que nous traversions, nous trouvions toujours les habitans, hommes et femmes, assis à leur porte et travaillant en chantant, avec une activité et une application sans égales. Les femmes tissent la laine ou le chanvre, tressent des chapeaux de paille ou fabriquent de ces grossières dentelles qu’on vend à Trieste et à Venise. Les hommes, menuisiers, sculpteurs ou tourneurs, ébauchent et sculptent avec adresse et précision des cadres, des pendules, des crucifix, d’informes statuettes, des jouets d’enfans, qu’ils découpent dans l’érable ou le zirbelbaum[1]. La sûreté de main de ces ouvriers, l’aisance et la rapidité avec laquelle ils terminent ces divers ouvrages, sont inimaginables ; on regrette que les plus adroits d’entre eux n’appliquent pas cette précieuse facilité à des ouvrages d’un dessin plus correct et moins grossier. Ces divers objets, analogues à ceux que l’on fabrique dans le Grödner-Thal et dans d’autres parties du Tyrol, sont expédiés la plupart en Allemagne, où on les enlumine et on les vernit, et d’où ils se répandent dans toute l’Europe et même en Amérique. Les petits modèles de gondoles qu’on vend à Venise sont également fabriqués dans ce pays, par des gens qui ne savent pas ce

  1. Les Allemands nomment ainsi le pin. On donne particulièrement ce nom dans les Sette Communi et dans les districts environnans à une espèce de sapin qui a de l’analogie avec le mélèze, mais dont le bois est plus blanc et plus compacte.