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à ces artifices d’expression, à ces nuances merveilleuses dont le virtuose italien dispose avec tant de goût. Baroilhet est un chanteur de luxe, un chanteur de fantaisie. Les rôles écrits pour lui n’appartiennent qu’à lui. Seul peut-être dans la troupe de l’Opéra il se détache de l’ensemble, et, sous le règne du système dramatique toujours en honneur à l’Académie royale, garde l’originalité de son talent. Nul autre que Baroilhet n’a le privilége de conserver franchement sur notre scène les allures italiennes, d’attirer le public et de le satisfaire avec une cavatine. Or, un pareil chanteur ne se double pas. Jouer la Favorite sans Baroilhet, c’est donner le coup de grace à cette partition, dont on peut dire que le jeune virtuose a fait toute la fortune. — Du reste, s’il y a quelque sujet de déplorer la situation présente, l’avenir ne s’annonce pas sous un aspect beaucoup meilleur pour l’Académie royale de musique. D’ordinaire, ce qui console dans les jours d’épreuve, c’est l’espoir que d’autres plus gais leur succéderont. Malheureusement, dans une administration de théâtre, l’imprévu joue un bien mince rôle, et l’on ne recueille guère qu’après avoir semé. Or, quels chefs-d’œuvre se préparent à l’Opéra, quels ballets tient-on en réserve, qu’attendre de l’avenir, si ce n’est l’épuisement plus complet d’un répertoire et d’une troupe qui ne se renouvellent pas ? Interrogez les programmes qui circulent, plongez dans la perspective aussi loin que vous pourrez ; que trouvez-vous ? Une partition en deux actes de M. Thomas ; puis, dans le vague, quelque chef-d’œuvre de M. Donizetti, quelque fantastique élucubration de M. Berlioz, la Nonne sanglante peut-être. Voilà certes de quoi contenter les plus difficiles, et nous ne voyons pas pourquoi l’on s’obstinerait encore à ne pas crier bravo. Disons-le donc ouvertement, ce régime-ci vaut l’ancien, l’Opéra n’a rien perdu de ses splendeurs, nous sommes toujours au temps de la Taglioni et de la Elssler, de Meyerbeer et de Mlle Falcon, à ce noble temps où l’attention du public, incessamment éveillée, se partageait entre les richesses du présent et celles qui s’amoncelaient dans l’avenir ! Quant à l’opéra nouveau de M. Meyerbeer, il n’en est plus question ; l’auteur des Huguenots demeure en Allemagne, et Mlle Loewe vient de signer avec Londres un engagement de deux années. La jeune cantatrice de Berlin débutera au mois d’avril dans la Straniera. Certes, quand on compte les noms dont se compose, pour cette saison, la troupe du Queen’s-Theater, quand on voit figurer l’un à côté de l’autre des sujets tels que la Grisi, la Persiani, Pauline Garcia, on s’étonne au premier abord qu’une Allemande s’aventure seule en si glorieuse compagnie. Heureusement Mlle Sophie Loewe est femme à tenir son rang partout ; la position sera difficile sans doute, les rôles pourront bien lui manquer, et il y aurait de la folie à croire que la Grisi voudra se dessaisir en sa faveur des partitions dont elle dispose. N’importe ; quelles que soient les conditions où son talent se produise, il faudra bien toujours qu’on le remarque. D’ailleurs, Mlle Loewe possède sur les autres un avantage qui lui conciliera en peu de temps l’enthousiasme des Anglais ; nous voulons parler de la manière dont elle chante l’ancienne musique. On sait à quel point les Anglais se passionnent pour les œuvres de Handel, combien ils se pâment