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Des préjugés, favorisés par la politique du gouvernement, leur fermaient la carrière militaire, et les seules professions qu’un gentilhomme pût choisir étaient ou le droit ou la médecine. M. Capodistrias étudia cette dernière science comme l’avait fait son père, le comte Antoine-Marie, homme hautain et opiniâtre, imbu des maximes italiennes, et portant à l’extrême les sentimens et les idées d’un loyal sujet de Venise. Un décret du sénat, qui atteste toute la méfiance inspirée à la métropole par ses provinces, obligeait les jeunes Ioniens à terminer leur éducation à l’université de Padoue ; pour prévenir le danger d’une instruction trop libérale et des pensées dont elle peut répandre le germe, on recommandait aux recteurs de se montrer indulgens, d’examiner superficiellement les élèves, et de distribuer les diplômes de docteurs sans rechercher de trop près si les candidats possédaient la science que la seigneurie aimait mieux savoir absente. M. Capodistrias, après avoir consacré les premières années de sa jeunesse à recevoir des leçons que la politique mutilait, revint dans sa patrie, muni des parchemins les plus glorieux.

Corfou était alors au pouvoir des Français, maîtres des Sept-Îles par l’art. 5 du traité de Campo-Formio. Le comte, à son retour, partagea nécessairement les antipathies que les familles nobles, les Capodistrias surtout, nourrissaient contre les vainqueurs de l’Italie, trop bien vus, à leur avis, du reste de la population. Le gouvernement vénitien, placé en face de l’anarchie turque, avait bien pu obtenir quelque faveur née de la comparaison ; mais, exclusivement voué aux intérêts de la métropole, il était peu aimé du peuple ionien, commerçant et navigateur, déjà familier jusqu’à un certain point avec les doctrines françaises, et qui accueillit avec transport les représentans de la démocratie. Aussi, lorsque les armes réunies de la Turquie et de l’empire russe eurent occupé le territoire septinsulaire, le désordre fut-il à son comble. Les nobles et leurs cliens voulaient qu’on revînt aux formes gouvernementales qui, si long-temps, leur avaient assuré la prépondérance ; le peuple s’y refusait ; partout l’intrigue était opposée à l’intrigue et la force à la force. Les nouveaux conquérans, que le progrès de l’humanité n’intéressait guère épargnaient la faction qui leur promettait le succès. Les Turcs, nation à peu près démocratique, soutenaient la noblesse ; les Russes se faisaient démagogues, croyant y trouver plus de profit. Tel a toujours été en Orient le système de cette dernière puissance : soutenir les mécontens, augmenter sa clientelle, jeter la perturbation au sein du pays qu’elle veut attirer dans ses filets, et nuire le plus possible a la Turquie, sa bonne alliée.

Les efforts du parti aristocratique l’emportèrent ; le comte Antoine-Marie, son chef, rédigea et mit en vigueur une constitution calquée sur celle de Raguse. La Russie, prévoyant que la violence de cette réaction allait bientôt remettre tout en question, se hâta d’y donner les mains. Elle abandonna ses alliés les démocrates, et au mois de mars 1800 elle signa, conjointement avec le sultan et la Grande-Bretagne, une convention qui reconnaissait la validité de la constitution nouvelle et l’indépendance de la république septinsulaire sous la suzeraineté de la Porte. C’est ainsi que Corfou, Zante, Céphalonie,