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LE CARDINAL XIMENÈS.

mettre le siége devant la ville de San-Lucar, qui appartenait à ce duché. Ximenès fit rassembler en diligence toutes les troupes qui étaient dans le pays pour la défense des côtes contre les Maures, et les dirigea contre l’entreprenant Giron qui fut obligé de prendre la fuite. Ainsi périssait l’anarchie féodale, mais en emportant avec elle l’esprit de liberté.

Ximenès ne se contenta pas de réduire ainsi le pouvoir des nobles, il voulut encore les dépouiller d’une partie de leurs domaines. Pendant les troubles des règnes précédens, les nobles avaient mis à profit la faiblesse des rois pour s’emparer de presque toutes les terres conquises. Le régent prétendit que ces terres appartenaient originairement à la couronne, et menaça de faire examiner les titres de leurs détenteurs. Si cette mesure radicale avait été exécutée dans toute sa rigueur, il ne s’en serait suivi rien moins que la dépossession presque totale de la noblesse, ce qui aurait infailliblement soulevé des tempêtes formidables, mais Ximenès la borna politiquement au règne de Ferdinand. Il retira par un seul acte toutes les terres qui avaient été aliénées par ce prince, et supprima toutes les pensions qu’il avait données comme ayant été éteintes par sa mort. Il en résulta une grande augmentation de revenus pour la couronne. Ximenès fit servir ces ressources nouvelles et d’autres qu’il obtint par son économie, à payer les dettes que Ferdinand et Isabelle avaient laissées, à équiper des flottes, à fortifier des places ; à bâtir des arsenaux, à établir des magasins de toute sorte d’armes, enfin à augmenter autant qu’il le put les moyens matériels de la puissance royale.

On raconte qu’un jour l’amiral de Castille, le duc de l’Infantado et le comte de Bénévent furent députés vers lui par les grands pour lui faire des représentations contre les formes despotiques de son administration. Ximenès les aurait, dit-on, reçus froidement, et leur aurait opposé d’abord le testament de Ferdinand, qui l’avait investi de la régence ; mais les députés ayant répondu que cet acte n’avait pu lui donner une autorité absolue que le roi lui-même ne pouvait pas exercer, il les aurait amenés vers un balcon d’où l’on découvrait un corps de troupes sous les armes, avec un train formidable d’artillerie, et leur aurait dit d’un ton fier : Vous me demandez mes pouvoirs, les voilà ! Cette anecdote n’est pas certaine ; mais, vraie ou fausse, elle résume admirablement le système de Ximenès. Celui de ses historiens qui la raconte ajoute que Ximenès saisit en outre son cordon de saint François et dit en le montrant : Voilà ce qui suffit pour