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celot s’appelle Émerance. Je crois que maintenant nous en savons assez pour espérer de nous en faire une idée exacte, même avant de l’ouvrir. Un livre dédié à M. Dupaty ne doit pas être dans sa forme un livre novateur. Il faut, pour qu’il puisse plaire à celui dont on lui a donné le patronage, qu’il ait un tour malin et délicat rappelant l’atticisme de l’empire. Le roman de Mme Ancelot pourrait bien être empreint d’une raillerie légèrement sceptique ; je craindrais même pour lui quelque chose d’un peu voltairien, s’il ne s’appelait pas heureusement Émerance. Émerance ! Voilà qui me jette dans un monde d’idées tout différent. C’est un nom qui annonce une nouvelle sœur des anges. Le Génie du Christianisme nous a fait expier Candide, et je crois entendre les sons de la harpe de M. d’Arlincourt. Eh bien ! je le demande à tous ceux qui viennent de lire cet ouvrage philosophico-poétique, n’est-ce point là le mélange qu’on y trouve ? Voltaire, tel qu’il a été compris par les académiciens de l’empire ; Châteaubriand, tel qu’il a été imité par les troubadours de la restauration.

Les deux pièces de Mme Ancelot qui représentent les deux cordes de sa lyre, c’est le Château de ma Nièce et Marie. On a beaucoup parlé du marivaudage du Château de ma Nièce. Il y a dans cette petite comédie une façon de comprendre Marivaux, qui m’a toujours rappelé la façon dont Mlle Mars comprenait les modes du XVIIIe siècle. La grande actrice, attachée au costume qui avait rehaussé jadis l’éclat de sa beauté, n’avait jamais d’autre souci que de rétrécir les manches trop larges et de raccourcir les tailles trop longues. C’est ainsi que Mme Ancelot réduit à des proportions étriquées et mesquines ce charmant langage de notre vieille comédie, plein d’une si gracieuse ampleur. Elle a la tradition de Marivaux telle qu’aurait pu la lui transmettre Andrieux. Quant à Marie, c’est un drame écrit dans une phraséologie plus moderne. Les douleurs récemment inventées de la femme y sont racontées d’une façon ambitieuse. Enfin, on doit reconnaître qu’il s’y trouve un genre de déclamation encore inconnu au temps de La Harpe et de La Chaussée. C’est des deux manières combinées du Château de ma Nièce et de Marie qu’est né le roman d’Émerance. Je crois pourtant que la manière de Marie domine. Un jeune homme à l’esprit exalté et au cœur candide, M. Antonin Dermond, arrive à Paris avec un grand ouvrage sur lequel il fonde tout l’espoir de son avenir. Il n’est pas difficile de s’imaginer quelles déceptions il rencontre dans le séjour de toutes les grandeurs et de toutes les misères. Mme Ancelot se livre à ces exagérations déclamatoires dont on a déjà fait un si grand abus sur la puissance et sur la vénalité des journalistes. Pour ce qui nous regarde, nous n’avons reconnu personne dans les sombres portraits qu’elle a tracés de ces tyrans de l’opinion publique. L’auteur d’Émerance, qui ne visait à rien moins qu’à présenter un tableau de la société tout entière en la décrivant dans chacune de ses classes, a voulu nous introduire aussi dans l’intérieur des salons aristocratiques. Le roman de Mme Ancelot nous prouve qu’il ne suffit pas d’être initié aux usages du monde pour en reproduire les