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Rembrandt. Ce tableau a vivement occupé l’esprit conjectural des érudits piémontais ; les uns l’ont attribué à Rubens, d’autres à Van-Dyck. Un autre écrivain reconnaît qu’il est bien de Rembrandt, mais à quel propos ajoute-t-il que ce portrait est celui de Théodore de Bèze ? La preuve de cette assertion ne serait pas facile à fournir, Rembrandt n’étant né qu’en 1606, un an après la mort du fameux apôtre de la réforme. Quoi qu’il en soit, ce tableau est bien de Rembrandt ; il l’a signé, sinon matériellement, du moins avec son talent.

Les meilleurs paysages de la Galerie de Turin sont ceux de Claude Lorrain et de Roth d’Italie. Claude Lorrain est toujours ce grand magicien que nous connaissons, ce peintre de la lumière, de la paix, de l’étendue et du bonheur, qui, à l’aide du pinceau et de la palette, sait donner au ciel son éclat, à l’air sa transparence, aux eaux leur limpidité, à l’horizon sa profondeur. Les Italiens, dans leurs sonnets, ont dit de lui que, comme Josué, il avait arrêté le soleil ; il est fâcheux que sa puissance se soit bornée là, et qu’il n’ait pas su animer les personnages qui peuplent les devans de ses compositions. Les joueurs de flûte de son magnifique tableau du Pont ruiné ont toute la raideur de petites figures de bois[1] ; ils dépareraient ce beau paysage, si l’harmonie de la couleur des vêtemens et du ton des chairs, d’accord avec celle de l’ensemble du tableau, ne rachetait l’imperfection de la forme. Ce dernier tableau de Claude Lorrain a été gravé dans la collection de M. d’Azeglio par le professeur Bulli. La touche du graveur est trop maigre et trop comptée, et les terrains n’ont ni la solidité ni l’épaisseur suffisante ; l’ensemble, néanmoins, est assez harmonieux.

Quelques-uns des riches reflets de cette lumière qui inonde les tableaux de Claude Lorrain illuminent ceux du Flamand Jean Both, dit Both d’Italie. Sa manière est néanmoins fort différente de celle du peintre français. Si l’un est poète, l’autre est naïf ; si celui-ci sacrifie tout à l’effet d’ensemble, celui-là néglige cet effet, tout occupé qu’il est des moindres finesses de détail. Jean Both, le plus brillant des disciples d’Abraham Bloëmart, quoique inférieur à Claude Lorrain, s’est élevé au-dessus de cette foule d’artistes du second ordre qu’a produits l’école hollandaise ; il vit l’Italie et la comprit,

  1. Claude Lorrain avait plutôt le sentiment que l’adresse de l’art. Il n’avait jamais pu apprendre à lire, et ne savait pas même signer son nom ; il faisait très péniblement ses personnages, dont il reconnaissait l’imperfection. « Je vends le paysage, je donne les figures, » disait-il en riant à ses amis, qui le critiquaient à ce sujet.