Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/170

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
166
REVUE DES DEUX MONDES.

Dans un pays où le pouvoir a subi de nombreuses vicissitudes et où règne la démocratie, les arrêts de l’opinion sont souverains ; la puissance sociale a perdu tout prestige. L’autorité publique n’est rien par elle-même et comme autorité publique ; elle est contrainte de discuter, de justifier tous ses actes. La loi obtient la soumission, mais tout ce qui n’est pas la loi même est contredit, contesté, perpétuellement mis en question.

La presse, ce grand inquisiteur des états libres, fait comparaître à sa barre tous les délégués du pouvoir, depuis le garde champêtre jusqu’au ministre ; elle soumet à sa censure tous les faits de l’administration, depuis l’ordre du maire de village jusqu’à l’ordonnance du roi.

Le pouvoir exécutif est tenu en arrêt par les deux chambres. Il n’est pas une de ses mesures pour laquelle il ne puisse être, je ne dirai pas mis en accusation, remède violent réservé pour les cas extrêmes, mais interpellé, attaqué, contraint à donner des explications et frappé dans la personne de ses dépositaires.

À tous les degrés de l’administration, les citoyens eux-mêmes, par des organes spéciaux, examinent, vérifient, discutent et dirigent la marche de l’autorité publique. C’est le mandat conféré au conseil municipal auprès du maire, au conseil général auprès du préfet. Ces conseils sont indépendans du gouvernement. Depuis 1830, l’élection les compose, et la couronne peut seulement les dissoudre, sauf encore à l’élection à les recomposer. La constitution a ainsi placé à côté de tous les pouvoirs publics l’œil toujours ouvert des citoyens, garantie précieuse, conquête immense de la liberté, mais aussi, pourquoi le taire ? source fréquente de collisions et de luttes. Il est dans la nature des pouvoirs sortis de l’élection de s’exagérer leur importance, de tendre sans cesse à accroître leurs attributions, de nourrir une certaine défiance contre l’autorité non élue, et de la tenir toujours, sinon pour ennemie, du moins pour suspecte. Ce dernier sentiment surtout est particulièrement propre à notre pays et à notre temps. La restauration, qui a pesé sur nous pendant quinze ans, excitait de telles antipathies, laissait percer de si criminelles arrière-pensées, que la plupart des esprits, même les plus droits, se sont habitués à se méfier du gouvernement en se méfiant d’elle. Ce n’est ni le seul préjugé qu’elle ait contribué à répandre, ni le moindre des maux qu’elle nous ait faits.


Comment la couronne pourra-t-elle satisfaire à tant de devoirs et