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REVUE DES DEUX MONDES.

Mme Baretty, répondis-je galamment, mais je n’ai jamais eu le plaisir de la voir.

— Vous aurez ce plaisir incessamment, et vous verrez qu’en vous annonçant une jolie femme, je n’ai pas exagéré.

— J’en suis convaincu d’avance, et mon admiration est prête.

M. Richomme cligna un œil, hocha la tête à deux ou trois reprises, et ricana sourdement, avant de reprendre la parole.

— Si vous voulez m’en croire, dit-il avec un accent moitié moqueur, moitié sérieux, vous la tiendrez en bride, votre admiration.

— Pourquoi cela ? fis-je un peu surpris de ce conseil. Le gros homme recommença sa pantomime, et se penchant vers moi :

— Avez-vous vu jouer Othello ? me dit-il à l’oreille.

— Sans doute.

— En ce cas, vous connaissez mon beau-frère.

— Jaloux ?

— Effréné, endiablé, enragé !

Malgré son attitude confidentielle, M. Richomme avait haussé la voix, et il parlait de manière à être entendu de tout le monde. Un regard de sa femme lui imposa silence.

— C’est juste, dit-il en s’inclinant. Puis, se penchant de nouveau vers moi : Ma femme, reprit-il tout bas, ne veut pas qu’on parle devant les domestiques des ridicules du cher beau-frère, et, au fond, elle a raison, car ces marauds sont l’impertinence et le bavardage incarnés. Au dessert je vous conterai cela.

Une femme jolie, un mari jaloux, il n’y avait rien là que d’assez ordinaire. Ce vulgaire prologue suffit cependant pour exciter ma curiosité, et j’attendis avec une sorte d’impatience la retraite des domestiques. Ils disparurent après avoir servi le dessert, selon l’usage établi dans la maison. Sans songer à ce qu’il pourrait y avoir d’indiscret dans ma conduite, j’allais rappeler à notre hôte sa promesse, mais il prévint ma demande. Aussi bavard que j’étais curieux moi-même, il lui tardait évidemment d’exercer aux dépens du mari de sa belle-sœur la lourde malice qu’il prenait pour de l’esprit, et qui constituait la partie joviale de son caractère.

— Messieurs Wendel, dit-il en s’adressant aux deux Bernois, vous avez déjà vu Baretty, mais ces messieurs ne le connaissent pas. N’est-il pas vrai que c’est un charmant garçon ?

À cette question ironiquement articulée, les Helvétiens ne répon-