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LE PARATONNERRE.

— Si cela dépend de moi, il perdra, dit-elle du ton le plus tranchant.

— Peste ! Dis-je en moi-même, il ne paraît pas que la forteresse soit disposée à capituler, et mon ami Maléchard n’est pas aussi avancé que je croyais.

En ce moment, des claquemens de fouet et le roulement d’une voiture se firent entendre. À ce bruit, qui annonçait sans doute l’arrivée de sa sœur, Mme Richomme se leva, en laissant échapper un signe de dépit, et, sans mot dire, sortit du salon. Les joueurs continuèrent imperturbablement leur partie, et j’en fus peu surpris, sachant que le whist est une œuvre sacrée que la fin du monde même aurait peine à interrompre. Pour moi, je dois en convenir, je ne partageai pas cette impassibilité ; il me prit même une petite palpitation, à laquelle je ne m’attendais guère, et qui me prouva que j’étais moins blasé que je ne l’avais craint quelquefois.

— Dieu me pardonne ! le cœur me bat, me dis-je assez content de cette juvénile émotion ; cela signifie-t-il que je vais devenir amoureux ? J’en accepte l’augure.

Avouons toute ma faiblesse. Je me levai, et je regardai un instant dans la glace ma figure, dont je fus peu content, selon mon habitude. Après avoir chiffonné dans mes cheveux et rectifié le nœud de ma cravate, je m’adossai à l’angle de la cheminée, dans une attitude qui, selon moi, ne devait manquer ni de distinction ni de caractère, et j’attendis ainsi, sous les armes, la femme en qui j’étais fort disposé à trouver la future souveraine de mon cœur.

Ainsi que je l’avais prévu, la porte ne tarda pas à s’ouvrir, et Mme Richomme rentra dans le salon en donnant la main à la nouvelle arrivée. L’ogre les suivait, mais dans le premier moment je n’y fis pas attention, tant mes yeux étaient occupés ailleurs. Un peu plus jeune que sa sœur, c’est-à-dire âgée de vingt-huit ans environ, d’une taille moyenne et admirablement proportionnée, Mme Baretty offrait dans tous ses traits le type grave, fin et passionné tout ensemble, des belles races méridionales. La brune pâleur de son teint décelait d’ailleurs son origine et rehaussait l’expression ardente, quoique habituellement voilée, de son regard. Une robe de soie noire, une capote de paille, un châle de couleur sombre négligemment posé, lui composaient un costume de voyage élégant et harmonieux dans sa simplicité. Sous ces modestes atours, Mme Baretty me parut une reine. Elle s’avança lentement, avec une dignité nonchalante, accueillit d’un air poli, mais sérieux, mon salut et celui des joueurs, qui, à son ap-