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LE DOCTEUR HERBEAU.

Louise se promenait pensive le long des haies, et déjà bien des pleurs avaient mouillé ses yeux.

L’automne approchait, saison des rêveuses tristesses. Louise vit ses beaux jours se flétrir et tomber avec les feuilles des charmilles. Elle passait ses heures solitaires dans le parc, inquiète, inoccupée, et mêlant le deuil de son ame au deuil de la nature. C’est ainsi qu’elle vit en quelques semaines le soleil décliner dans le ciel et la jeunesse dans son cœur. Son beau front se voila, ses joues se décolorèrent, l’azur de ses yeux se ternit, et la gaieté, cette riante fleur de son printemps, pâlit et mourut sur sa tige.

L’hiver fut plus sombre encore. Louise le passa presque tout entier sous le manteau d’une vaste cheminée, morne, affaissée, ou bien lisant quelques livres qu’elle dérobait au regard de son mari, mais qui ne faisaient qu’aggraver son mal, car tous lui parlaient de bonheur et d’amour. M. Riquemont sortait le matin et ne rentrait que le soir, à l’heure du repas. Il rentrait assez ordinairement escorté de quelques maquignons ou de quelques rustres du village, et c’était au milieu de ces aimables convives que Louise allait s’asseoir, silencieuse et résignée ; heureuse encore lorsque sa tristesse n’offrait pas à son mari un sujet de quolibets grossiers ou de reproches amers.

Vers le printemps, la santé de Mme Riquemont s’altéra si visiblement, que M. Riquemont s’en aperçut lui-même ; il s’en préoccupa médiocrement, disant que c’étaient des vapeurs. Toutefois, pour l’acquit de sa conscience, il fit appeler le docteur Herbeau.

Le docteur accourut, monté sur Colette. Il vit Louise, il étudia le mal, mais vainement. Le mal était partout et nulle part. Aristide commença par saigner le sujet et par lui administrer quelques grains d’émétique, remèdes anodins, disait-il, qui ne pouvaient aggraver le cas, s’ils ne le guérissaient point. Louise voulut bien résister aux ordonnances du docteur ; mais M. Riquemont les lui signifia avec tant d’autorité, — disant que, si elle était réellement malade, elle se prêterait de meilleure grace à la guérison, qu’il était las de l’entendre gémir, qu’il voyait bien que c’était un jeu et qu’elle voulait se donner des airs intéressans, qu’une bonne saignée la corrigerait de ces manies, qu’on serait trop heureux de jouir des bénéfices de la maladie sans en avoir les inconvéniens, et tant d’autres absurdités pareilles, — que la pauvre Louise, pour conquérir le repos, se livra, comme une victime, à la lancette et à l’émétique du docteur. L’émétique détermina une violente inflammation à l’estomac de la malade ; et comme la tristesse est un des symptômes moraux de la gastrite, et