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LE DOCTEUR HERBEAU.

pas ainsi se désespérer. Les ressources de la science sont inépuisables. Nous combattrons la gastrite par les antiphlogistiques. Déjà le mal est enrayé, et je réponds devant Dieu de votre prochaine guérison, si toutefois des prétentions rivales ne viennent point contrarier mon système et me disputer la gloire de vous sauver, seul prix, chère Louise, qu’ambitionne ma sollicitude.

— Ah ! vous voulez parler du nouveau docteur ? dit Louise avec nonchalance. Voyez, je l’avais oublié. Ce n’est pas moi qui l’ai voulu, vous le savez bien, n’est-ce pas ? Qui pourrait remplacer près de moi vos soins et votre tendresse ?

— Personne, Louise, personne au monde, s’écria le docteur attendri.

— Oh ! je le sais bien, allez ! n’est-ce pas vous qui avez mis un peu de soleil dans ma pauvre existence ? Vous m’avez aidée à vivre et vous m’aiderez à mourir.

— Louise, chère enfant, ne parlez pas ainsi ! dit Aristide d’une voix étouffée.

— Il faut bien en parler, puisque je sens que chaque jour emporte un débris de moi-même. Tenez, ajouta-t-elle en lui prenant une main qu’elle posa doucement sur son cœur, vous avez beau faire, je sens là quelque chose qui me tue. Qu’est-ce donc ? il me semble pourtant que ma vie pourrait être si belle. Ah ! mon ami, je l’aime, cette vie qui m’échappe ! Ah ! sauvez-moi ! s’écria-t-elle en se pressant effrayée contre lui, comme si elle eût aperçu un serpent se glisser à ses pieds.

Aristide la serra tendrement contre sa poitrine et osa la baiser au front.

— Vous vivrez, s’écria-t-il ; vous êtes trop aimée pour mourir.

— Ah ! vous aussi, vous êtes bien aimé, dit-elle.

— Louise, vous êtes adorée !

— Et vous aussi, et vous aussi ! dit Louise en souriant à travers ses pleurs. Mais, soyons gais, monsieur Herbeau, ajouta-t-elle en passant précipitamment son mouchoir sur ses yeux ; soyons gais, il le faut ; j’aperçois mon mari, et je ne veux pas qu’il puisse rire de mes larmes.

Aristide attribua ce mouvement à un tout autre motif, et crut de bonne foi que Louise craignait d’éveiller la jalousie de M. Riquemont. Il prit aussitôt un air grave et compassé, car c’était là le côté le plus plaisant de la passion du docteur. Il ne se serait point pardonné de troubler le repos domestique de Mme Riquemont, et pour