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Le jeune homme avait tenu les promesses de l’adolescent ; toutes les fleurs avaient donné leurs fruits, bientôt les lettres de Montpellier étaient arrivées comme de glorieux bulletins. Au lieu de s’exhaler, comme autrefois, en idylles plaintives, Célestin chantait d’un ton mâle les charmes du travail et l’amour des saintes études. « Je me nourris, écrivait-il, de la moelle des lions et des ours. » Il parlait de sa lampe studieuse qu’il voyait bien souvent pâlir aux premières lueurs de l’aube naissante. Son corps se fortifiait en même temps que son esprit. Il se louait de l’air pur du midi et des relations brillantes qu’il avait recherchées, conformément au désir paternel. Il était reçu chez la marquise de R***, chez le comte de C***, et notamment chez lord Flamborough, qui l’avait fait appeler pour vacciner quatre petits chiens. Il cultivait aussi plusieurs sociétés savantes, et ne négligeait rien pour devenir un jour la gloire de son pays. Tout cela l’induisait bien en dépenses, mais le docteur Herbeau saurait apprécier et reconnaître dignement les sacrifices que son fils s’imposait pour le satisfaire. Il se plaignait toujours un peu de cette timidité qui l’avait tenu si long-temps garrotté, et dont il n’était pas encore parvenu à se défaire entièrement ; mais il reconnaissait lui-même que chaque jour en détendait les liens, et ne doutait pas que la fréquentation des hautes classes de la société ne lui valût bientôt une complète délivrance. Il avait, lui aussi, un bien vif désir de presser sur son cœur son cher père et sa tendre mère ; mais le temps des vacances doublait ses travaux au lieu de les suspendre : il faisait à lui seul le service de l’hôpital. Et puis, c’était durant la saison d’automne qu’il allait herboriser aux alentours de Montpellier. Il avait composé un magnifique herbier destiné à son père ; mais lord Flamborough ayant laissé voir combien il serait heureux de posséder un pareil trésor, Célestin n’avait pas cru pouvoir se dispenser de l’offrir à sa seigneurie. D’un autre côté, il n’osait appeler à lui sa tendre mère, car le trajet était difficile, et la route, en certains endroits, périlleuse. Il racontait de temps à autre des histoires de loups effrayantes. Entre Castaro et Langogne, une troupe de comédiens avait été dévorée par une troupe de loups ; dans ce coquin de pays, il n’était pas rare de voir les loups se jeter dans les voitures et emporter les voyageurs, comme des agneaux, au fond des bois. Ces relations glaçaient d’épouvante Mme Herbeau et surprenaient fort le bon docteur, qui avait fait maintes fois cette route sans apercevoir la queue d’un loup ; il en concluait, après de mûres réflexions, qu’entre Castaro et Langogne, le nombre de ces féroces animaux s’était considérablement augmenté.