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reuse. Elle pensait à ses fermiers, à ses paysans, aux pauvres gens de ses domaines, aux misères du prochain hiver.

— Là finit la poésie, dit-elle tristement en montrant à M. Savenay les ravages de l’ouragan.

— Et commence la bienfaisance, ajouta le jeune homme, qui avait deviné les pensées qui la préoccupaient.

En moins de cinq minutes, le sol fut enseveli sous un ciment de grêlons si épais et si dur, qu’il en resta jusqu’au soir des vestiges. La foudre continuait de gronder, et le vent fracassait les grands arbres. Les ardoises du toit tourbillonnaient dans l’air, les volets battaient les murs, et le château semblait devoir à chaque instant être emporté par la tourmente. Louise et Savenay se tenaient silencieux, Louise parfois encore tressaillant d’épouvante, mais aussitôt rassurée par le regard affectueux qui veillait sur elle ; il y avait même dans l’appréhension d’un danger commun quelque chose qui ne lui déplaisait pas, et elle y trouvait un charme mystérieux qu’elle eût été fort embarrassée d’expliquer.

Enfin l’orage s’apaisa, la nuée s’éclaircit, et le soleil, sans paraître encore, y sema des trouées d’azur. Les vents s’étaient calmés, le tonnerre s’éloignait, et le ciel versait doucement une pluie tiède et menue, comme pour guérir les blessures que la grêle avait faites. L’air était frais et sonore ; déjà les oiseaux chantaient sous la feuillée, l’horizon fumait, et de toutes parts s’exhalait l’enivrant parfum de la terre mouillée par l’orage. Louise partageait le sentiment de bien-être et de délivrance répandu sur la nature entière, et le premier rayon qui perça les nuages descendit aussitôt dans son cœur. Savenay, silencieux comme elle, la contemplait avec un intérêt grave et tendre. Ils demeurèrent long-temps ainsi. Puis ils causèrent, et tout ce que disait ce jeune homme arrivait à Louise comme un écho de ses pensées. Ils parlaient de choses et d’autres, une conversation brisée, mais charmante dans ses hasards. Louise s’était tant de fois entendue railler par M. Riquemont, qu’elle avait fini par douter d’elle-même et par se dire que son mari avait raison peut-être. Elle comprit enfin que le monde de ses sentimens, de ses idées et de ses rêves, ce monde que M. Riquemont, en ses jours de gaieté, appelait l’hôpital des fous, existait quelque part, et que du moins son ame n’était pas seule à l’habiter. Pour la première fois, elle trouvait à changer son or ; elle découvrait pour la première fois que c’était de l’or en effet.

— Il a pourtant fallu cet orage pour vous ramener au château, dit Louise en souriant ; mon mari vous grondera, monsieur, car vraiment