Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/325

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
321
LA FLOTTE FRANÇAISE.

siècle s’est ouvert au bruit des clairons du consulat et de l’empire, et tout se ressent encore de cette odyssée militaire qui promena nos aigles à travers l’Europe. L’action continentale fut si prodigieuse alors, qu’elle laissa le reste dans l’ombre. Les bulletins impériaux ne parlaient pas de nos armées de mer ; c’était assez pour les vouer à l’indifférence. Cette impression a long-temps survécu aux circonstances qui l’avaient fait naître ; peut-être ses traces ne sont-elles pas encore entièrement effacées. La marine française a eu à lutter contre ces préventions, contre ce dédain. Ceux qui ne l’avaient pas oubliée doutaient ouvertement d’elle. Sur le littoral, on ne croyait pas à son succès ; dans l’intérieur, on ignorait jusqu’à ses efforts. C’était une situation assez triste ; la marine en a triomphé par ses services. Portant avec dignité le poids d’une déchéance antérieure, elle en a peu à peu conjuré l’effet, et a fini par obtenir grace pour le passé, justice pour le présent. Quoiqu’on lui mesurât les fonds d’une main avare, elle n’en a pas marché avec moins de résolution vers son but, et l’attitude délibérée qu’elle a prise devant Lisbonne, sous les remparts d’Ancône et de Saint-Jean d’Ulloa, prouve que la conscience de sa force lui est revenue. La faveur publique a salué ces glorieux débuts et remis la marine dans le chemin d’une popularité nouvelle.

Toutefois ce n’est guère que depuis 1839, et dans l’armement nécessité par les difficultés orientales, qu’on a enfin trouvé le moyen d’en faire un instrument militaire de quelque valeur. Avant ce temps, le système fatal des intermittences régnait encore : legs du passé, il semblait survivre aux désastres dont il fut cause. Quand on avait besoin de quelques vaisseaux, de quelques frégates, on les armait ; on les désarmait quand leur mission était remplie. Il en résultait deux graves inconvéniens : l’un de condamner les équipages à des apprentissages successifs et incomplets sans qu’ils parvinssent jamais à acquérir une instruction réelle ; l’autre d’absorber en frais d’armement et de désarmement des sommes avec lesquelles on aurait pu obtenir un bon service continu. Ainsi ce système sacrifiait notre force à de faux semblans d’économie ; il était à la fois coûteux et impuissant. Tandis que dans l’armée de terre on admettait la permanence des cadres comme la base indispensable d’une bonne organisation, dans l’armée de mer on ne procédait que par solutions de continuité. À peine un équipage était-il exercé, qu’on le brisait, soit pour le congédier, soit pour le reconstituer autrement. Dès-lors la valeur des hommes était diminuée ; la valeur de l’ensemble était anéantie. On avait une marine viagère et non une marine stable. Avec ces arme-