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LA FLOTTE FRANÇAISE.

transatlantiques, dont la construction se poursuit, dans divers ports militaires ou marchands. Mais avant tout il importe que l’état ait enfin, pour la construction et la réparation des machines, des ateliers plus importans que l’ébauche ridicule qui figure dans l’arsenal de Toulon.

Ainsi l’impression qui naît du spectacle de nos flottes ne saurait désarmer la sévérité des jugemens que l’on peut porter sur leur mécanisme. Cependant, en ceci encore, il faut se défendre de l’exagération, et ne pas pousser les choses à l’extrême, comme l’a fait un organe accrédité du gouvernement. Les imperfections du matériel naval ne sont pas irréparables, et chaque jour elles tendent à disparaître. Déjà, grace à l’élan donné par le dernier ministère, et à la dotation généreuse qui l’a suivi, de grandes améliorations ont été réalisées dans divers services. Les magasins sont dégarnis sans doute, mais pas autant qu’on affecte de le dire, et s’il y a insuffisance pour l’armement de quarante vaisseaux et de cinquante frégates, fixé par l’ordonnance de 1837, il y a excédant sur les besoins de l’effectif actuel. N’outrons rien, ni notre faiblesse, ni notre force. Quant au personnel, il est évident que son instruction pour les manœuvres d’escadre ne date que de ces trois dernières années ; mais il serait puéril d’y voir un motif réel d’infériorité, et rapprocher cette situation de celle d’Aboukir et de Trafalgar est une injustice gratuite. Vingt-sept années de paix ont mis, sous le rapport de la grande tactique, toutes les marines sur le même niveau. À l’étranger, comme en France, les équipages ont été renouvelés à diverses reprises, et si la tradition survit encore dans les règlemens, elle n’existe plus dans les hommes. Les cadres de l’amirauté anglaise comptent sans doute des vétérans nombreux ; mais, à vingt-sept ans d’intervalle, un pareil avantage se transforme presque toujours en inconvénient[1]. Il n’y a donc pas lieu de s’alarmer aussi haut de ce que nos officiers de marine n’ont pas fait la guerre comme Nelson. Les Nelson sont rares de tous les temps, et après un quart de siècle de paix ils sont impossibles.

Loin de nous la pensée d’exciter l’orgueil national, et de le pousser vers des entreprises téméraires. L’Angleterre a des ressources navales

  1. Les journaux anglais le sentent eux-mêmes. L’un d’eux disait dernièrement « Our list of admirals is better calculated to make the country tremble than the ennemy. » (Notre liste d’amiraux est de nature à faire trembler le pays plutôt que l’ennemi.) — Sur 159 amiraux, il n’y en a que 12 en activité ; 10 ont plus de 80 ans, 48 plus de 70.