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LA FLOTTE FRANÇAISE.

avantages pécuniaires attachés à un abandon que combattent tant de motifs politiques.

Un vaisseau de 90 canons, monté par 810 hommes, coûte annuellement à l’état 480,000 francs pour le matériel, et 488,520 francs pour le personnel, en tout 968,520 francs.

Une frégate de 50 canons, montée par 440 hommes, coûte 210,000 fr. pour le matériel, 285,480 francs pour le personnel, en tout 495,000 fr.

Un brick de 20 canons, monté par 113 hommes, coûte 60,000 fr. pour le matériel, et 84,600 francs pour le personnel, en tout 144,600 fr.

Un bateau à vapeur de 160 chevaux de force, monté par 92 hommes, coûte 40,000 francs pour le matériel, et 72,000 pour le personnel, en tout 112,200 francs.

Ainsi, en portant à 1 million l’entretien d’un vaisseau en activité, et à 500,000 francs celui d’une frégate, la suppression de 10 vaisseaux et de 10 frégates n’aboutirait, en définitive, qu’à une économie de 15 millions, et encore faudrait-il déduire de ce chiffre les frais qu’exige tout bâtiment de guerre à l’état de désarmement. Voici donc en présence, d’un côté 12 ou 15 millions d’économie, de l’autre l’avenir maritime du pays, sa grandeur, son salut peut-être. Il serait même possible que ces 15 millions, ainsi arrachés au soin de notre véritable défense, fussent gaspillés en petits armemens de corvettes et de bricks, proportionnellement plus coûteux, comme on peut le voir, mais qui offrent l’avantage de procurer à des officiers favorisés les commandemens en chef qu’ils ambitionnent.

Après de tels calculs, il n’y a pas à hésiter. Maintenons notre flotte : l’intérêt est vital, le sacrifice minime, nul argent n’est mieux placé que celui-là. Souvent, en matière de comptabilité, nous nous sommes montrés magnifiques ; cette fois nous ne serons que prévoyans. Ne laissons pas s’échapper cette arme de nos mains, tout le conseille, même les réclamations dont elle est l’objet. Si elle est une inquiétude à l’étranger, c’est qu’elle est une force pour le pays. Une seule éventualité pourrait faire renoncer la France à la permanence d’un armement naval, ce serait celle où notre commerce prendrait un essor assez grand pour nous créer des ressources en personnel analogues à celles que possède l’Angleterre. Sans prétendre à devenir les facteurs de l’univers, nous devons espérer pour notre navigation marchande, dans un temps plus ou moins prochain, des destinées moins précaires que celles dont elle subit aujourd’hui l’influence. Si jamais nos flottes pouvaient compter sur cent à cent vingt mille matelots empruntés aux ports de commerce, elles seraient, comme