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était indisposé et s’ennuyait ; il ordonna à Racine, qui lisait fort bien, de lui lire quelque chose. Celui-ci proposa les Vies de Plutarque par Amiot : « Mais c’est du gaulois, » répondit le roi. Racine promit de substituer, en lisant, des mots plus modernes aux termes trop vieillis, et s’en tira couramment sans choquer l’oreille superbe. Cette petite anecdote est toute une image et donne la mesure. Il fallait désormais que, dans cette langue polie, pas un vieux mot ne dépassât[1].

Fontenelle, qui est si peu de son siècle, et qui passa la première moitié de sa vie à le narguer et à attendre le suivant, marqua son opposition encore en publiant chez Barbin son Recueil des plus belles pièces des vieux poètes depuis Villon ; mais ce qui remontait au-delà ne paraissait pas soupçonné.

L’Académie des Inscriptions, instituée d’abord, comme son nom l’indique, pour de simples médailles et inscriptions en l’honneur du roi, et qui ne reçut son véritable règlement qu’au commencement du XVIIIe siècle, ouvre une ère nouvelle à ces études à peine jusqu’alors ébauchées. Les vieux manuscrits français, surtout de poésies, avaient tenu fort peu de place dans les grandes collections et les cabinets des Pithou, Du Puy, Baluze, Huet. M. Foucault, dans son intendance de Normandie, en avait recueilli un plus grand nombre ; Galland, le traducteur des Contes arabes, en donna le premier un extrait ; mais avec quelle inexpérience ! Il s’y joue moins à l’aise qu’aux Mille et une Nuits. L’histoire seule ramenait de force à ces investigations, pour lesquelles les érudits eux-mêmes semblaient demander grace. Sainte-Palaye, en commençant à rendre compte de l’Histoire des trois Maries, confesse ce dégoût et cet ennui qu’il ne tardera pas à secouer. Dans la série des nombreux mémoires qu’il lit à

    que celle du livre du monde, est une relation fidèle, sinon de ce qui arrivait entre les rois et les chevaliers de ce temps-là, au moins de ce qu’on était persuadé qui pouvait arriver… Comme les médecins jugent de l’humeur peccante des malades par leurs songes, on peut par la même raison juger des mœurs et des actions de ce vieux siècle par les rêveries de ces écrits. » Le bonhomme Chapelain entendait donc déjà très bien en quel sens la littérature, même la plus romanesque et la plus fantastique, peut être dite l’expression de la société. Allons ! nous n’avons pas tout inventé.

  1. « Pourquoi employer une autre langue que celle de son siècle, » disait le sévère bon sens de Boileau à propos de la fable du Bûcheron, par La Fontaine. Mais La Fontaine, dans ce ton demi-gaulois, parle sa vraie langue ; il n’a fait expressément du pastiche que dans ses stances de Janot et Catin. Mme Des Houlières et La Fare, s’il m’en souvient, en ont fait aussi en deux ou trois endroits.