Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/370

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
366
REVUE DES DEUX MONDES.

l’écho de la tragédie de Du Belloy ou de l’opéra de Sedaine[1]. Clotilde, à bien des égards, n’est qu’un Blondel, mais qui vise au ton exact et à la vraie couleur.

Et Blondel lui-même, à sa manière, y visait ; rien ne montre mieux combien alors ces mêmes idées, sous diverses formes, occupaient les esprits distingués, qu’un passage des intéressans Essais ou mémoires de Grétry. Le célèbre musicien raconte par quelles réflexions il fut conduit à faire cet air passionné de Richard : Une fièvre brûlante dans le vieux style : « Y ai-je réussi ? dit-il. Il faut le croire, puisque cent fois on m’a demandé si j’avais trouvé cet air dans le fabliau qui a procuré le sujet. La musique de Richard, ajoute-t-il, sans avoir à la rigueur le coloris ancien d’Aucassin et Nicolette, en conserve des réminiscences. L’ouverture indique, je crois, assez bien que l’action n’est pas moderne. Les personnages nobles prennent à leur tour un ton moins suranné parce que les mœurs des villes n’arrivent que plus tard dans les campagnes. L’air Ô Richard ! ô mon roi est dans le style moderne, parce qu’il est aisé de croire que le poète Blondel anticipait sur son siècle par le goût et les connaissances. » Transposez l’idée de la musique à la poésie, vous avez Clotilde.

Je reviens. De tous ces vieux trouvères récemment remis en honneur par l’érudition ou par l’imagination du XVIIIe siècle, Surville, remarquez-le bien, n’en omet aucun, et compose ainsi à son aïeule une flatteuse généalogie poétique tout à souhait : Richard donc, Lorris, Thibaut, Froissart, Charles d’Orléans, et je ne sais quelle postérité de dames sous la bannière d’Héloïse, voilà l’école directe. De plus, dans les autres trouvères non remis en lumière alors, mais dignes de l’être et qu’on a retrouvés depuis, tels que Guillaume Machau et Eus-

  1. Dans le Dialogue d’Apollon et de Clotilde :

    …… Adonc par cettui je commence,
    Qui fut ensemble ornement de la France
    Et son flagel (fléau) ; c’est le roi d’Albion,
    Richard qu’on dit prince au cœur de lion ;
    Bouche d’abeille, à non moins digne titre
    Dut s’appeler. Comme il se dit d’un philtre
    Qui fait courir en veines feux d’amour,
    Tels, quand lisez le royal troubadour,
    Sentez que flue es son ardente plume
    À flots brulans le feu qui le consume

    Je crois sentir encore plus sûrement que Surville a entendu chanter d’hier soir : Une fièvre brûlante… La première représentation est d’octobre 1785.