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LE DOCTEUR HERBEAU.

à l’ambition du nouveau médecin. Déjà des bruits fâcheux, auxquels Mme d’Olibès n’était pas étrangère, couraient dans la ville sur le jeune absent. On assurait qu’à cause de sa constitution débile et de sa timidité naturelle qu’il n’avait pu vaincre, Célestin était à jamais perdu pour la science. On ajoutait que c’était par vanité et par orgueil que les parens retardaient son retour. Il est vrai qu’on prétendait d’autre part que Célestin avait réalisé glorieusement toutes les espérances de sa famille, et qu’il allait bientôt apparaître radieux, comme un jeune guerrier armé de pied en cap, pour venger l’honneur et les intérêts de son père. Malheureusement, les bruits que sème la bienveillance n’éveillent point d’échos et meurent bientôt à la peine, tandis que les autres courent, prospèrent, grossissent, grandissent, choyés, caressés, nourris par la charité publique. Au milieu de toutes ces rumeurs, éclata, comme un obus entre les jambes du docteur Herbeau, le double incident de la mort et de la résurrection du jeune docteur. Depuis quelques jours, on commençait à se moins préoccuper de M. Savenay. Cet épisode réveilla dans toutes leurs fureurs les sympathies et la curiosité qui faisaient mine déjà de s’assoupir.

La nouvelle de la mort du jeune étranger avait remué tous les esprits. Nous sommes obligé d’avouer que Mme Herbeau ne chercha point à dissimuler la joie qu’elle en éprouvait. Quant au docteur, bien que nous l’ayons vu tomber dans le piége de M. Riquemont, nous devons dire qu’il s’en affligea sincèrement, et qu’il alla même jusqu’à gourmander vertement l’allégresse d’Adélaïde. Il y eut à ce sujet une scène assez vive entre les deux époux. Toujours est-il que, durant quatre jours, M. Savenay avait passé pour mort à Saint-Léonard. Chacun racontait la catastrophe à sa manière. Les uns soutenaient qu’il avait été foudroyé sous un chêne ; les autres, que son cheval l’avait jeté sur un tas de pierres ; d’autres, qu’il avait été emporté par une trombe. Enfin, on apprit, à n’en pouvoir douter, que son cadavre venait d’être retrouvé dans la Vienne, près du moulin de Champ-fleuri. Le fait était attesté par M. Grippard, huissier, qui le tenait du percepteur, lequel se l’était laissé dire par un rat de cave qui le savait d’un cabaretier. Rien n’était plus sûr ni plus authentique. Quatre garçons meuniers devaient, le soir même, rapporter sur un brancard les restes mortels à la ville. Saint-Léonard s’était mis en mesure de rendre quelques honneurs au défunt. On avait fait creuser un grand trou dans le cimetière, et, vers les quatre heures de l’après-midi, les cloches se prirent à se lamenter. Après avoir bien dîné, Saint-Léonard se leva de table et se répandit sur la route de Champ-