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réveillèrent brusquement et répandirent un nuage de tristesse sur son visage, un instant égayé. Comme elle ne doutait pas que le docteur Herbeau n’eût pénétré ce qui se passait dans son cœur, et qu’il ne fût venu tout exprès pour la secourir et pour la conseiller, elle attendait, confuse et tremblante, qu’il abordât le premier ce sujet, qu’elle n’osait elle-même entamer, tandis que le docteur, qui ne savait quel motif assigner au rendez-vous qu’il avait obtenu, gardait de son côté un silence morne et embarrassé.

Ils restèrent long-temps ainsi, les yeux baissés, n’osant se regarder l’un l’autre. Louise pensa que son vieil ami se taisait par délicatesse, dans l’attente d’une confidence qui l’autorisât à offrir l’appui de son expérience et le secours de sa sagesse. Elle fit donc effort sur elle-même, et d’une voix émue, sans lever les yeux :

— Je comprends votre silence, dit-elle enfin ; je sais quel sujet vous amène.

À ces mots, le docteur rougit, pâlit et se troubla.

— Oui, reprit-elle, il n’est pas besoin d’explication entre nous ; épargnez-moi la honte d’un aveu désormais inutile. Écoutez ; mais dites moi d’abord si je puis compter sur vous ?

Et comme le docteur, terrifié par ce préambule, ne répondait pas :

— Dites-moi, s’écria-t-elle avec fermeté et cette fois le regardant en face, dites-moi si vous m’aimez véritablement, sérieusement, courageusement ; si vous m’aimez enfin ?

— De la prudence ! Louise, de la prudence ! s’écria le docteur d’une voix éperdue.

— Vous ne répondez pas, dit-elle.

— Je vous aime, balbutia le bon Aristide ; mais, malheureuse enfant, songez à tous les ménagemens que nous avons à prendre et à garder.

— Soyez tranquille, poursuivit la jeune femme ; si vous m’aimez comme vous l’assurez, et comme il m’est doux de le croire, je ne crains rien et suis sauvée. Écoutez donc : vous savez l’histoire de mon cœur ; sachez ce qui se passe dans celui de M. Riquemont. Mon mari ne vous affectionne pas, c’est tout simple ; peut-être avez-vous remarqué qu’en ces derniers temps sa haine contre vous n’a fait que croître et redoubler. Avant-hier, après votre départ, il est entré dans ma chambre, et m’a signifié qu’il ne voulait plus de votre présence au château. Que vous dirai-je ? En un mot, il exige que vous cédiez la place à votre rival, et que M. Savenay devienne mon médecin.

— Tout est perdu ! s’écria le docteur Herbeau, plus blanc que la