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se lève en colère, et la main puissante qui lui a fait signe de prendre les armes peut seule l’arrêter dans ses projets farouches.

En s’alliant aux princes de Java, en s’assurant de leur fidélité, la société hollandaise s’assurait par là même de celle de leurs sujets ; mais ses relations avec les princes n’étaient plus les mêmes. Jusqu’alors elle achetait au plus bas prix possible les denrées de Java ; peu lui importait de quelle manière, par quelles exactions les chefs du pays amassaient ces denrées. Dès qu’elle eut la souveraineté de l’île, elle voulut l’asservir toute entière à son intérêt, sans tenir compte des habitudes prises, des règles établies jusqu’à cette époque. Son désir était d’accroître sans cesse ses bénéfices, d’amasser de l’argent, et, pour arriver à ce résultat, elle froissa, elle appauvrit sans ménagemens ses nombreux sujets. Si une culture particulière lui offrait quelque chance de gain plus considérable que les autres, elle imposait à tous les champs une nouvelle transformation, elle condamnait toutes les familles à un nouveau travail. Si une branche de commerce obtenait quelque succès, elle en prenait le monopole absolu et l’abandonnait quand elle était épuisée. Entraînée par son avidité, aveuglée par l’ambition de ses calculs, elle déviait de la marche simple et régulière qui l’avait enrichie, elle allait impitoyablement d’essai en essai, et chacun de ces essais avait des suites fatales pour elle et plus fatales encore pour la contrée qu’elle exploitait.

En même temps elle était astreinte à des dépenses énormes qu’elle n’avait pas eu à supporter jusqu’alors. Tant qu’elle ne possédait que ses magasins et sa forteresse, elle n’avait à payer que les intérêts de ses capitaux, les dividendes de ses actionnaires. Elle n’entretenait que le nombre de soldats et d’employés strictement nécessaire. Investie de la souveraineté du pays, elle eut des troupes considérables à sa solde, des fonctionnaires dans les divers districts de l’île. Ces fonctionnaires, qui achetaient leur place à un prix élevé, commettaient, pour s’enrichir, toute sorte de fourberies et d’exactions. Il fallait en outre que la compagnie fît de temps à autre de riches présens aux familles princières de l’île, afin de conserver leur bienveillance et d’assurer par là sa domination sur les Javanais.

À la même époque à peu près où les Hollandais s’établissaient à Java, les Anglais jetaient les fondemens de l’immense empire qu’ils se sont créé en Asie. Comme les Hollandais, ils organisèrent d’abord une société de commerce qui fréta des navires pour l’Inde ; comme les Hollandais, ils s’enrichirent par l’échange et la vente de diverses denrées ; comme les Hollandais enfin, ils devinrent souverains d’un