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front s’humecter d’une sueur froide, et je fus forcé de m’asseoir ; car la tête me tournait, et mes jambes se dérobaient sous moi.

— Ah çà ! où diable allons-nous ? m’écriai-je lorsque je fus un peu remis de cette émotion.

M. Baretty se retourna.

— Est-ce que vous avez peur ? me dit-il avec un ricanement qui me parut odieux.

— Je ne suis pas un chamois, répondis-je sèchement ; allez vous casser le cou, si cela peut vous être agréable ; je ne fais pas un pas de plus.

Le capitaine promena les yeux de tous côtés comme pour explorer l’état des lieux. Cet examen était facile. Dans le lointain, les pics de granit encadrant l’ourlet supérieur du glacier, le ciel sur nos têtes, sous nos pieds une mer pétrifiée : c’était tout. Autour de nous la solitude et le silence. Pas une créature vivante à portée de nous voir ou de nous entendre. Nous aurions pu croire que la terre n’avait pas d’autres habitans.

— Au fait, dit M. Baretty en revenant sur ses pas, pour ce qu’il nous reste à faire, nous sommes aussi bien ici que plus loin.

— Que nous reste-t-il à faire ? demandai-je naïvement.

— Vous allez le voir, répondit-il d’un air goguenard.

Il ôta son havresac, le posa sur la glace, et commença d’en défaire les courroies. Je suivais avec une certaine curiosité ces préparatifs, dont je crus presque aussitôt comprendre le but. Le capitaine ne méprisait nullement la dive bouteille. Il avait sans doute pensé qu’un échantillon des vins excellens que nous buvions chez son beau-frère ne perdrait rien de sa saveur pour être dégusté en plein glacier. L’idée me sembla ingénieuse et la précaution louable. Je m’apprêtais à festoyer l’agréable flacon, quel que fût son état civil, clos-vougeot, chambertin ou marsalla, lorsqu’au lieu du goulot que je m’attendais à voir poindre, j’entrevis l’extrémité d’une boîte étroite et plate dont l’aspect fit faire soudain à mes idées le plus brusque soubresaut, et m’ôta ma soif tout net.

Le capitaine, ayant achevé de tirer de son sac cette espèce de nécessaire, l’ouvrit au moyen d’une clé fort mignonne, et offrit à ma vue deux magnifiques pistolets de combat accompagnés de tous leurs accessoires.

— Vous comprenez l’apologue ? me dit-il alors en me regardant entre les deux yeux.

La trivialité de ce propos n’en atténuait pas la signification sangui-