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DES PARTIS EN FRANCE.

plus d’une fois, dans des occasions importantes, ils en ont fait eux-mêmes la triste expérience. Quand le parti conservateur plaide pour l’ordre, et le parti libéral pour la liberté, les esprits n’en sont donc pas frappés, et la partie flottante de l’opinion ne s’en émeut guère. Mais qu’à un jour donné le parti conservateur déclare lui-même la liberté en danger, que le parti libéral s’écrie que l’ordre est sérieusement compromis et qu’il importe avant tout de le rétablir, alors chacun s’étonne, chacun s’effraie, chacun se dispose à voler au secours d’un intérêt si évidemment menacé. C’est précisément ce qui fait que, l’an dernier, au moment du traité de juillet, les déclamations belliqueuses du parti conservateur remuèrent cent fois plus profondément le pays que les appels guerriers de la gauche. Depuis dix ans, en effet, la gauche se plaint de la politique extérieure de la France, et signale ce que M. Villemain appelait jadis « l’abaissement continu. » Depuis dix ans, au contraire, le parti conservateur soutient que la politique extérieure est bonne, et que le pays a obtenu la paix sans rien sacrifier de sa puissance et de son honneur. Le jour où le parti conservateur proclama, par tous ses organes, que la mesure était remplie, et que la France, pour cette fois, devait prendre les armes, on ne douta donc point que cela ne fût vrai, et le sentiment public répondit de toutes parts aux énergiques déclarations du parti conservateur. C’était, pour ceux qui voulaient résister à l’Europe, une force inattendue, mais considérable, et à laquelle il n’a manqué que de persister plus longtemps.

Cela posé, qui ne comprend combien, lorsque le pays s’agite, il importe au pouvoir d’avoir l’appui du parti libéral et populaire ? On voudrait, à la vérité, que cet appui lui fût assuré dans tous les cas, et que, le jour où l’ordre est troublé, tous les partis constitutionnels oubliassent aussitôt leurs griefs, leurs dissentimens, leurs combats, pour se réunir dans un sentiment et dans un effort commun. On voudrait qu’ils vinssent ainsi au secours d’une politique qu’ils croient mauvaise aussi bien que d’une politique qu’ils croient bonne, d’un ministère dont ils se défient aussi bien que d’un ministère en qui ils ont confiance. C’est là tout simplement méconnaître la nature humaine et la croire exempte de passions et de préjugés. Quoi qu’ils fassent ou qu’ils disent, le parti ministériel et le parti de l’opposition ne peuvent envisager du même œil les désordres moraux ou matériels qui troublent la société. Pour l’un, ces désordres n’ont aucun prétexte, aucune excuse ; pour l’autre, ils trouvent dans les fautes du gouvernement un prétexte et une excuse. Ce n’est certes pas une