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REVUE. — CHRONIQUE.

sans doute, pour conserver intact ce pouvoir royal dont il est dépositaire, la même activité et, si l’on veut, la même habileté qu’il a déployées pour l’obtenir.

Au surplus, quelque crainte que puisse inspirer l’état présent de l’Espagne, quelque redoutable que paraisse en ce moment le parti exalté, il est encore possible que les tentatives de ce parti se trouvent paralysées par les mêmes causes qui semblent interdire aujourd’hui aux Espagnols tout effort considérable, tout mouvement général. Il y a dans le pays une lassitude, une impuissance qui doivent se retrouver, dans une certaine mesure, même au sein du parti exalté. Ce qui nous frappe, c’est le manque d’originalité dans tout ce qui se fait ou se prépare en Espagne. Dans ce pays, qui a plus que tout autre la prétention d’être un pays à part, on n’aperçoit cependant dans les mouvemens des partis que de pâles et imparfaites imitations de la révolution française. On n’y voit rien de véritablement national, rien de cette profonde et terrible agitation d’un grand pays qui, contraint de se renouveler violemment, lance, pour ainsi dire, à la surface tout ce qu’il renfermait de bien et de mal dans la profondeur de ses entrailles. On voit alors les hommes nouveaux et puissans surgir tout à coup, par milliers. Les idées ne manquent pas plus aux hommes que les hommes aux idées. Il y a quelque chose de gigantesque dans l’audace des partis, de surprenant dans leur habileté. Le monde est frappé d’admiration et de terreur. Les héroïques dévouemens et les épouvantables forfaits, dans leur rapide succession, laissent à peine le temps de respirer. — Rien de pareil ne peut s’accomplir en Espagne. Il y a loin des cortès aux assemblées nationales, de la junte de vigilance au comité de salut public, de je ne sais quel ayuntamiento à la commune de Paris. Ajoutons que le principe municipal, assez puissant en Espagne pour affaiblir le pouvoir central, n’est nulle part en état de se substituer à lui et de prendre le gouvernement du pays. Il en est de l’Espagne comme d’une confédération mal organisée. Toute localité peut résister, nulle ne peut dominer et imposer ses décisions au pays tout entier. Au contraire, ce qui se fait dans une ville est souvent une raison de faire autrement pour la ville ou la province voisine. Le parti exalté, devant s’appuyer sur les municipalités, éprouvera tous les inconvéniens que traîne à sa suite cet incommode auxiliaire. Ses mouvemens manqueront d’unité. Il n’y aura probablement que des révoltes partielles, et non une insurrection générale contre la royauté. Il faut aussi ne pas oublier que l’Espagne, par les mêmes raisons, n’a pas de véritable capitale ; elle n’a pas une ville sur laquelle se fixent tous les regards avec une anxiété respectueuse, avec une attention qui peut être mêlée de quelque envie, mais qui n’est pas moins pleine de déférence. Madrid n’est qu’une résidence royale. Ses télégraphes et ses diligences n’apporteraient pas une révolution toute faite à Vittoria, à Barcelone, à Saragosse, à Cadix. Il est également vrai que Barcelone et Cadix ne pourraient pas imposer une révolution andalouse ou catalane aux populations de la Castille.