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vérité quand elle gêne ses vues. Non-seulement la Russie n’a pas déclaré que Méhémet-Ali avait les torts de l’agression, mais elle reconnaît que le mouvement des troupes égyptiennes, tel qu’on le lui a rapporté, n’a pas un caractère agressif. M. de Nesselrode ne prononce pas davantage la sentence du pacha ; il se borne à demander des explications et à proposer que la distance qui séparait jusqu’alors les deux armées soit rétablie. Mais ce n’est pas tout ; les renseignemens qui avaient déterminé la démarche de M. de Nesselrode étaient complètement inexacts. Lord Ponsonby lui-même va nous l’apprendre :

« Le comte Medem a écrit à M. de Boutenieff que les explications de Méhémet-Ali l’ont convaincu que les Égyptiens n’étaient pas les agresseurs. M. de Nesselrode l’avait supposé. » (Dépêche du 26 mai 1839.)

Que devient donc ce fameux oracle que la Russie et l’Angleterre empruntaient à Frédéric-le-Grand pour condamner le pacha d’Égypte : « Ce n’est pas la puissance qui frappe le premier coup qui est coupable de l’agression ; c’est bien plutôt celle qui a forcé l’autre pour se défendre ? » En partant de la règle posée par Frédéric et invoquée par lord Ponsonby, n’est-ce pas au contraire le sultan que l’on doit déclarer l’agresseur ? et n’a-t-il pas contraint le pacha d’Égypte à livrer, pour sa propre sûreté, la bataille de Nézib ?

J’insiste sur ce point, parce que l’opinion de lord Ponsonby a été partagée par son gouvernement, et parce qu’elle est devenue l’argument principal sur lequel s’est fondée la conférence de Londres pour déclarer le vice-roi déchu des droits que lui conférait l’arrangement de Kutaya..

« Le résultat de la bataille du 24 juin, dit lord Palmerston dans une dépêche adressée à lord Beauvale le 26 juillet 1839, ne peut pas devenir un titre pour Méhémet-Ali à des conditions meilleures ; c’est bien plutôt le contraire qui doit arriver, car cette bataille a été livrée au mépris des remontrances et des avertissemens des cinq puissances, l’armée égyptienne ayant attaqué l’armée turque, et le théâtre de l’action étant en dehors des frontières de la Syrie. »

Est-il vrai cependant que Méhémet-Ali n’ait tenu aucun compte des conseils des puissances, et qu’il ait voulu la guerre à tout prix ? Ce n’était pas son intérêt, car il savait bien que l’arrangement de Kutaya était inattaquable tant qu’il le respecterait lui-même, et qu’il ne pouvait pas commencer les hostilités sans donner à la Russie et à l’Angleterre un prétexte pour se tourner contre lui. Mais voici un