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DES AUTEURS ESPAGNOLS CONTEMPORAINS.

à toute critique étrangère, que les Espagnols chantaient, qu’ils dessinaient, qu’ils peignaient, qu’ils écrivaient l’histoire, qu’ils faisaient le roman, la pastorale et le drame. Ils ne vantaient pas leurs tableaux, ils ne répandaient et ne cherchaient point à propager leurs systèmes littéraires. Ils se renfermaient dans le sentiment de leur valeur propre. La chaleur du soleil, la vie de la nature, la beauté mystique de l’ame et l’ardente force du sang se reproduisaient sur leurs toiles. Les chances de l’existence humaine et les variétés phénoménales des passions se jouaient dans leurs drames, la majesté de la volonté humaine dans leurs histoires. Ce fut un grand jour et un vaste éclat littéraire ; mais, après ce jour, une sombre nuit. À peine nos contemporains se souviennent-ils que l’Europe du XVIe et du XVIIe siècle a puisé à la source de ce drame comme on puise l’eau d’une vaste rivière, sans qu’il y parût, sans que personne vît diminuer ou tarir le bienfaisant trésor. Les tableaux espagnols restèrent ignorés et suspendus aux parois des églises. Toute cette vive flamme périt, et l’Espagne, une fois condamnée à l’imitation, ne fut rien.

Il est vrai que, entre 1550 et 1750, deux influences, celle de l’Italie et celle de la France, tombèrent sur l’Espagne et modifièrent sa décadence. Mais ces deux écoles ne produisirent rien de grand. Aujourd’hui qu’elle est soumise à l’action du Nord, les résultats de cette influence nouvelle ne sont pas meilleurs. Un peu plus de facilité dans la versification et de souplesse dans la facture, voilà tout ce que la poésie espagnole a gagné dans ses rapports avec l’Italie moderne. Aux écrivains français du XVIIe et du XVIIIe siècle, elle a emprunté quelque lucidité dans l’exposition et l’enchaînement des idées, et un certain goût de régularité apparente et extérieure. Faibles conquêtes, qui ne remplacent pas ce que l’Espagne a perdu, fécondité, énergie, nationalité surtout.

Cette glorieuse nationalité, toute catholique, chevaleresque, et, si l’on veut, fanatique, a été récemment en butte à de violens reproches. Rien ne m’étonne plus que les attaques de M. de Sismondi, esprit assurément honnête, érudit d’une patience exemplaire, contre la littérature et les mœurs espagnoles. Le génie du XVIIIe siècle a vaincu et courbé la sagacité de M. de Sismondi ; il en a été dompté, rompu, écrasé, jusqu’à devenir incapable de se mêler au vieux génie des nations et d’en sentir la valeur, la fleur ou le poids. Il entre dans le XIIIe siècle avec une lumière de 1820, qui déforme tous les objets, et les voile plutôt qu’elle ne les éclaire. Vous diriez un musicien qui ne connaît qu’une seule clé, celle de sol, par exemple, et qui, essayant