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LE DOCTEUR HERBEAU.

En défilant devant sa porte, la sainte canaille, furieuse de ne pas voir de drapeau tricolore aux croisées, et se souvenant d’ailleurs des opinions du maître du logis, se mit bravement à insulter ce vieillard inoffensif. Puis, des cris on passa galamment aux pierres, on lui brisa tous ses carreaux de vitre, et on ne parlait de rien moins que de saccager sa maison sous le prétexte de s’assurer que M. de Polignac ne s’y trouvait pas, quand heureusement la garde nationale mit fin à tout ce désordre.

C’était la révolution de juillet qui venait de s’accomplir à Saint-Léonard.

Quand le docteur Herbeau sut à quoi s’en tenir, lorsqu’il sut, à n’en pouvoir douter, qu’une tempête de trois jours venait de fracasser le vieux trône de France et de jeter toute une dynastie dans l’exil, il arracha le ruban rouge qui brillait à sa boutonnière, et, courbant la tête, il se plaignit au ciel qui l’avait laissé vivre assez long-temps pour être témoin d’un si grand désastre. Son cœur, ses regrets et ses vœux accompagnèrent pieusement les augustes proscrits sur la terre étrangère.

Il ne lui restait plus qu’à mourir. Le docteur Herbeau ne tarda pas, en effet, à se sentir mortellement atteint. Instruits de sa maladie, les deux jeunes docteurs se présentèrent pour lui offrir leurs soins, il les fit remercier par Jeannette, et refusa de les recevoir. La fin de toutes choses ne l’effrayait pas. Il souriait doucement à la mort qu’il voyait s’approcher. Toutefois, un vieux remords troublait la sérénité de ses derniers jours. Ne voulant pas quitter la vie sans s’être réconcilié avec ceux qu’il avait offensés, il fit, un matin, appeler à son chevet le gendarme Canon, qui, grace à son intelligence et à la belle conduite qu’il avait tenue durant les trois glorieuses journées, était passé brigadier après vingt-cinq ans de service. À la sollicitation de Jeannette, Canon s’empressa d’accourir ; l’ayant fait asseoir près de son lit, le moribond, après s’être accusé d’avoir autrefois refusé ses soins au respectable corps de la gendarmerie royale, pria le brigadier de lui pardonner à cette heure suprême, tant en son nom qu’en celui de ses camarades. Le bon docteur s’exprima d’une façon si humble et si touchante, que Canon ne put retenir ses larmes, et qu’il demanda à M. Herbeau la permission de l’embrasser, ce qui lui fut accordé de grand cœur. Il se retira tout ému, non sans avoir promis solennellement au docteur d’assister, lui et ses camarades, à son enterrement, de le conduire jusqu’au champ des morts, et de ne le quitter que lorsqu’il serait à six pieds sous terre.