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PHILOSOPHES MODERNES.

phiques au commencement de ce siècle, et si Cabanis et Bérard l’ont traité avec talent au point de vue de l’école sensualiste, M. de Biran a eu la gloire de le ramener à ses véritables termes, et de nous montrer à la fois le rapport et la distinction des deux principes. Descartes disait de cette question : « Si nous savions cela, nous saurions tout. »

Outre ces quatre grands mémoires, M. de Biran a encore écrit un excellent article sur les leçons de philosophie de M. Laromiguière, une réfutation du système de Hume, un article sur Leibnitz, inséré dans la Biographie universelle, et d’autant plus remarquable que la théorie de M. de Biran sur la notion de la cause l’introduisait tout directement dans les plus secrètes profondeurs du système des monades de Leibnitz. Dans un ordre d’idées un peu différent, quoique rentrant au fond dans le même sujet d’études, M. de Biran a composé un mémoire sur le sommeil, les songes et le somnambulisme, qui réunit au mérite d’une grande sagacité philosophique l’attrait d’anecdotes piquantes et d’ingénieuses observations. Il y a dans toute cette partie de ses recherches une tendance au vitalisme, qui lui fournit des explications au moins plausibles de tous les phénomènes de notre activité où la conscience n’a point de part. L’animal humain est, suivant lui, distingué de l’homme, et le serviteur du maître ; et quand cette ame animale, qui n’est, dans la vie normale, qu’un pouvoir exécutif, prend en main la direction du corps pendant l’absence ou le sommeil de notre gouverneur ordinaire, elle exécute à notre insu, par une sorte d’imitation instinctive, ce que dans l’état de veille nous lui avons fait exécuter sous notre surveillance, et nous devenons ainsi étrangers à nos propres actes.

Si les ouvrages de M. de Biran n’avaient pas été publiés, il n’en serait pas moins, par son influence sur M. Cousin, un des maîtres de la philosophie française ; mais alors un de nos titres à la gloire philosophique aurait péri, nous n’aurions pas cet admirable modèle d’observation psychologique, et une mémoire, qui mérite d’être respectée, n’aurait pas été sauvée du naufrage. Il s’en est fallu de bien peu qu’une si grande perte ne fût consommée. Lorsqu’après la mort de M. de Biran, M. Cousin reçut de M. Lainé, son exécuteur testamentaire, la mission de reconnaître et d’examiner tous les papiers déposés entre ses mains, il proposa, d’après le résultat de l’examen auquel il s’était livré, de publier en quatre volumes les œuvres complètes de M. de Biran, ou de donner au moins au public son dernier ouvrage, les Considérations sur les rapports du physique et du moral de l’homme. Ni l’une ni l’autre de ces propositions ne fut acceptée,