Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/737

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
733
HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

ces protestations, il donnait suite à son projet, et que nos menaces avaient du moins obtenu ce résultat, de faire suspendre la déclaration d’indépendance annoncée par Méhémet-Ali.

« Le comte Molé me dit qu’il ne pouvait pas se reposer sur l’effet de nos menaces, à moins que l’on ne donnât en même temps au pacha l’espérance d’un arrangement qui assurerait l’avenir de sa famille ; que notre politique devait être, en considérant le grand âge de Méhémet-Ali, de gagner du temps et de détourner la crise qui menaçait l’Orient. Rien ne pouvait mieux servir l’accomplissement de ce projet que l’assurance, qui serait donnée à Méhémet-Ali, des bons offices de la France et de l’Angleterre pour obtenir à son fils le gouvernement de l’Égypte aux conditions auxquelles le pacha le gardait aujourd’hui.

« Cette dépêche contient la substance de ma conversation avec le comte Molé, conversation qu’il m’a prié de transmettre à votre seigneurie. »


M. Molé pose clairement la question. Pour décider Méhémet-Ali à se renfermer dans les limites du statu quo, il veut qu’on lui donne des espérances, et que la France et l’Angleterre s’engagent à demander l’investiture de l’Égypte pour son fils. Cette base de négociation est à la fois la première et la dernière à laquelle le gouvernement français se soit arrêté. Les prétentions de M. Molé, sont déjà ce que devaient être plus tard celles du maréchal Soult et de M. Thiers. Ce qu’il réclame pour le pacha, c’est l’hérédité de l’Égypte et la possession viagère de la Syrie. À travers les hésitations et les maladresses de notre politique extérieure, on reconnaîtra que la France n’a guère varié sur ce point. Le gouvernement anglais le sait bien, car, dès le 16 juin 1839, lord Beauvale écrivait de Vienne à lord Palmerston : « Louis-Philippe désire un arrangement qui assurerait la succession héréditaire de l’Égypte à la famille de Méhémet-Ali, et qui ferait rentrer la Syrie, à la mort du vice-roi, sous la domination du sultan. »

La dépêche de lord Beauvale constate que, dès les premiers mots de cette discussion, le roi, les ministres et les chambres, tout le monde s’était expliqué nettement sur les intentions de la France. L’Angleterre ne suivit pas d’abord cet exemple. On vient de lire le récit de lord Granville : il était difficile de répondre à plus de confiance par plus de réserve. Lord Granville ne s’explique pas sur les arrangemens territoriaux ; il laisse entièrement de côté la question d’avenir, et ne paraît préoccupé que de l’intérêt que peut avoir l’Angleterre à faire agir ses forces navales dans le Levant, dans l’éventualité d’une collision entre le sultan et Méhémet-Ali.

La même réserve se fait remarquer dans les premières communica-