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HISTOIRE DIPLOMATIQUE DE LA QUESTION D’ORIENT.

supprimant toute chance d’une future collision entre le sultan et Méhémet-Ali. Mais aussi long-temps que Méhémet-Ali continuera à occuper la Syrie, un conflit sera à craindre. Méhémet-Ali ne peut pas dominer la Syrie sans une force militaire considérable qui tienne constamment garnison dans cette province ; et tant qu’une force égyptienne occupera la Syrie, il faudra nécessairement une armée turque dans la partie de l’Asie mineure qui est limitrophe de la Syrie. Le sultan et Méhémet-Ali pourraient tomber d’accord, en ce moment, de réduire leur état militaire à un chiffre déterminé ; mais ni l’un ni l’autre ne pourrait être assuré qu’après un certain temps ces forces ne seraient pas augmentées de part et d’autre, et en effet chacun des deux les augmenterait certainement par degrés. Ainsi et en peu de temps, le même état de choses qui aurait existé auparavant ne manquerait pas de se reproduire, car les causes et les passions qui l’auraient amené ne cesseraient pas d’agir. Méhémet-Ali ou Ibrahim voudrait encore ajouter de nouveaux territoires à leurs pachaliks, et le sultan brûlerait toujours de les rejeter en Égypte.

« Il paraît donc au gouvernement de sa majesté que ce danger ne peut cesser qu’autant que Méhémet-Ali rendra la Syrie à l’autorité directe du sultan, qu’il se retirera en Égypte, et qu’il mettra le désert entre ses troupes et celles du sultan. Mais on ne peut pas espérer que Méhémet-Ali consente à cet arrangement si on ne lui concède quelque avantage équivalent, et cet avantage pourrait être la succession héréditaire de l’Égypte accordée à la famille du pacha. On garantirait ce gouvernement à Méhémet-Ali et à sa famille de la même manière qu’on avait garanti anciennement à un autre pacha le gouvernement de Scutari. Le vice-roi continuerait à être vassal et tributaire de la Porte ; il fournirait un contingent d’hommes et serait lié, comme tout autre pacha, par les traités que ferait son souverain.

« Si les cinq cours s’accordaient sur un tel plan et le proposaient aux deux parties avec toute l’autorité qui appartient aux grandes puissances de l’Europe, cet arrangement serait effectué, et l’Europe se trouverait ainsi délivrée d’un danger sérieux et imminent[1]. » (Lord Palmerston à lord Beauvale, 28 juin.)

Pour avoir l’intelligence de cette phase des négociations et pour suivre, dans la direction qu’elle va s’ouvrir, la manœuvre stratégique de lord Palmerston, il convient de se reporter aux faits antérieurs. La controverse qui s’est engagée, au début de la dernière session, entre M. Thiers et M. Passy, a pleinement démontré, si je ne me trompe, que l’Angleterre n’avait pas trouvé le ministère du 12 mai disposé, comme elle l’aurait voulu, à un acte de vigueur contre la Russie, et que le gouvernement français avait substitué au projet de

  1. Dans une dépêche adressée à lord Clanricarde pour être communiquée à M. de Nesselrode, lord Palmerston remercie le gouvernement russe pour les ouvertures que contient sa dépêche du 15 juin, et y répond dans les mêmes termes que nous venons de citer.