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LA SIBÉRIE SEPTENTRIONALE.

Nous regrettons que, dans le cours de ses longues explorations, M. Wrangel ne se soit pas attaché plus particulièrement à étudier le caractère, les formes du dialecte des différentes peuplades qu’il visitait, afin de reconnaître par les analogies philologiques les liens de parenté qui unissent l’une à l’autre ces peuplades et de remonter à leur origine. Nous regrettons aussi qu’il n’ait pas recueilli avec plus de soin les traditions de la tente nomade et les chants populaires du foyer, ces doux trésors de poésie qui se perpétuent au sein des races les plus grossières, comme les filons d’une mine précieuse au sein des montagnes. Le livre de M. Wrangel est, du reste, écrit avec un talent remarquable, avec une clarté de style très rare en Allemagne. Il plairait aux gens du monde par ses récits étranges et animés, il ouvre aux géographes un espace tout nouveau, et donne une utile leçon de courage et de persévérance aux voyageurs qui rêvent, comme M. Wrangel, les expéditions aventureuses, et comme lui aimeraient à parcourir les parages inexplorés.

Ce que M. Wrangel raconte de l’aspect de la Sibérie méridionale et des établissemens de luxe fondés à Jakuzk, est un fait important. Ce récit nous montre que, malgré la rigueur du climat et l’aridité du sol, un certain bien-être matériel commence à s’introduire au sein de ces lointaines contrées, dont le nom seul nous effraie. Le gouvernement russe a pris à cœur l’intérêt des pauvres peuplades errant dans les régions du nord, et ces peuplades secondent par leur courage les tentatives généreuses de l’autorité qui les protége. Il n’y a pas un plus beau spectacle, a dit un philosophe ancien, que celui de l’homme supportant avec fermeté la douleur. Grace au ciel, nous en connaissons un plus beau, c’est celui de l’homme fort et résolu qui ne se contente pas de cette constance passive vantée par les stoïciens, qui lutte avec énergie, ici contre les mauvaises passions, là contre une nature trompeuse et cruelle. De tous côtés, cette noble lutte se soutient ; l’intelligence pénètre peu à peu au milieu des esprits les plus grossiers, la force morale domine les instincts pernicieux, la force physique subjugue les élémens. Des îles de l’Océanie jusqu’aux confins de la mer Glaciale, des bords de l’Orénoque jusque dans les déserts de la Sibérie, les lueurs de la civilisation dissipent les ténèbres de la barbarie. Voilà le spectacle qui doit réjouir les gens de cœur et plaire aux regards de Dieu.


X. Marmier.