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REVUE MUSICALE.

rial ; les morts vont vite. Qui parle de Rubini ? Il ne s’agit plus à cette heure que de M. de Candia. Tant pis pour qui laisse sa place vide, on la lui prend. Ceci soit dit sans offense pour le grand maître que nous avons perdu. Mais, nous le répétons, au théâtre on ne se souvient guère, et la sensibilité n’est pas le fait de toute cette société enthousiaste et frivole qui se passionne chaque soir pour une cavatine. Il faut au public des Italiens un chanteur qu’il élève et proclame ; si l’idole de la veille vient à lui manquer, il en adopte une autre incontinent, une autre moins glorieuse et moins imposante sans doute, mais en qui des dons nouveaux éclatent, et qui ravive par des qualités de jeunesse et d’avenir une admiration émoussée par l’habitude monotone à la longue du sublime. Après avoir admiré pendant dix ans, on est parfois bien aise d’encourager qui s’en montre digne.

Depuis l’ouverture de la saison musicale, on n’a eu qu’à se louer de M. de Candia, qui s’est comporté vaillamment, nous pouvons le dire, et mérite en tout point les hommages qu’on lui décerne chaque soir. À propos des succès récens du jeune ténor, on a crié à la révélation, au miracle ! Quant à nous, la manière toute distinguée dont M. de Candia vient de se produire cette année n’a rien qui nous étonne. Pour quiconque avait assisté aux débuts de M. de Candia, pour quiconque savait les ressources de son organe, il était évident que cette voix si pure, si limpide, si merveilleusement argentine et juvénile, atteindrait aux plus beaux effets le jour où l’émulation du premier rang en viendrait aider l’essor et le développement. Ce n’est point là encore un chanteur accompli, nous en convenons volontiers : le maître manque, on cherche l’inspiration, l’ame, le souffle ; mais les virtuoses du premier ordre ne s’improvisent pas en quelques jours, et, si l’on y pense, Rubini lui-même, lorsqu’il parut sur notre scène pour la première fois, était loin de donner les espérances qu’il a réalisées depuis et que laisse déjà concevoir M. de Candia. Il y a chez le jeune ténor aujourd’hui en renom un assemblage de qualités charmantes qui devaient lui concilier tout d’abord les bonnes graces de l’auditoire, de la plus aimable partie de l’auditoire ; c’est quelque chose que la jeunesse et la voix. Depuis quelque temps, le dilettantisme s’attache aux belles voix, témoin aux Italiens l’exemple que nous citons, et à l’Académie royale de musique M. Poultier. Il y a deux ans, on n’aimait que le style et l’art ; à l’heure qu’il est, c’est le tour des qualités naturelles, et franchement celles-là en valent bien d’autres. Nous ne touchons encore qu’au début de la saison, et déjà M. de Candia s’est emparé des trois principaux rôles du répertoire de Rubini, et déjà le novice ténor qu’on n’entendait naguère que dans des rôles d’un intérêt médiocre, le Nemorino de l’Elissir d’amore par exemple, ou le Pollione de la Norma, s’est lancé hardiment au travers des épreuves les plus difficiles et les plus dangereuses. Affronter une pareille tâche en un moment où tant de souvenirs brillans vivent encore, où des comparaisons terribles naissent d’elles-mêmes, et malgré qu’on s’en défende, c’était là un acte de courage et de bonne volonté, dont le public ne pouvait manquer de tenir compte, d’autant plus que M. de Candia, par la franchise et le naturel qu’il y mettait,