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la corruption et l’intrigue. Avant qu’elle songeât à généraliser les griefs, et à y intéresser la plèbe domestique qu’elle continuait d’opprimer, il fallut qu’elle se fût bien assurée du peu de succès de son moyen ; il fallut du temps aussi pour que cette plèbe italiote comprit et s’émût. À Rome, enfin, le parti démocratique n’était pas un allié très fidèle et très chaud de la cause italienne, bien que des tribuns essayassent parfois de donner le change et de confondre. Entre la plèbe romaine et les nations italiotes, il y avait, dit M. Mérimée, une barrière aussi haute qu’entre le maître et l’esclave. Céder aux alliés une partie de ses droits, c’eût été aux yeux du dernier plébéien de Rome s’avouer vaincu par des ennemis dont on lui redisait chaque jour la défaite ; c’eût été comme renoncer à une propriété qui, pour n’être qu’une satisfaction d’amour-propre, ne lui en était pas moins précieuse. De telles considérations si judicieuses et lumineuses appartiennent à cette véritable et, j’ose dire, unique philosophie de l’histoire, comme Machiavel et Montesquieu l’entendaient, qui ne procède qu’appuyée sur l’observation humaine et sur les faits.

Enfin la guerre éclate ; le meurtre de Drusus, patron des Italiotes à Rome, donne le signal, et le complot, depuis quelque temps tramé, se déchire à nu. Bien des lieutenans et des soldats de Marius ressaisissent l’épée, mais cette fois contre Rome. C’est le glaive romain, c’est le pilum, ces terribles armes des légions, qui vont faire de part et d’autre les blessures. Rome recule aux années de son berceau où l’ennemi n’était jamais qu’à quelques journées, et où la fumée des camps montait aux collines de l’horizon. Il lui faut compter comme au premier jour avec ces noms redoutés, les Marses, les Samnites. Il faut, après que ses aigles victorieuses ont rempli le monde, se retrancher au-devant du gîte et redevenir louve.

Nous n’avons pas à suivre M. Mérimée à travers les détails de cette stratégie savante, difficile, à tout moment coupée ; il la rend pour la première fois claire, vraisemblable, et se complaît dès-lors, on le conçoit, à la faire saisir. Mais ce dont nous ne lui savons pas moins de gré, c’est d’avoir, avec quelques traits simples, authentiques, et sans rien prêter à l’histoire, retrouvé et comme restauré les caractères de ces chefs vaillans, un Vettius Scaton, un Pompædius Silon, un Papius Mutilus, un Pontius Télésinus. Souvent dans les débris de statues tronquées, quand elles sont de grande façon, un seul reste du torse ou du masque donne à juger de l’ensemble de même pour quelques-uns des hommes dont il s’agit. Le profil lui-même apparaît, l’attitude grandiose se dessine du moins : l’injure des temps et de la