Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 28.djvu/914

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
910
REVUE DES DEUX MONDES.

pas bien loin d’une guerre de coups. Les Français ne doivent pas oublier que notre parlement et leurs chambres épieront, avec toute la pénétration d’une jalousie nationale, toute parole écrite des deux côtés, et que d’un côté une menace faite et non exécutée, de l’autre une menace reçue et non repoussée avec dédain, amènerait la chute des ministres par qui l’honneur national aurait été ainsi dégradé. » (Lord Palmerston à lord Granville, 8 octobre.)

Cette dépêche est un engagement que le ministre anglais prend envers lui-même. Il déclare qu’alors même que les puissances n’auraient pas l’intention de faire ce que la France leur défendra de faire, elles braveront cette injonction. À plus forte raison devait-il se considérer comme tenu d’exécuter les mesures qui entraient dans sa politique, en dépit de l’opposition que la France aurait manifestée. Or, la déchéance de Méhémet-Ali avait été provoquée par les agens de l’Angleterre ; lord Palmerston l’avait approuvée. Il en avait fait l’apologie en revendiquant pour le sultan le droit de dépouiller son vassal. Cette parole si fière, il ne fallait donc pas la dire, ou il fallait la maintenir. Est-ce là ce que lord Palmerston a fait ? Examinons. Je sais ce qui manque à la note du 8 octobre, et je ne prétends pas que cette déclaration du gouvernement français ait été à la hauteur des circonstances, qu’elle ait répondu aux impressions de l’esprit public, ni même qu’elle ait complètement rendu la pensée du précédent ministère[1]. Mais, telle qu’elle est, elle constitue un langage que la France n’avait pas tenu aux puissances depuis 1830, et les pièces diplomatiques attestent que cette démarche a changé les résolutions du gouvernement anglais.

La note du 8 octobre fut un progrès sur la détestable politique qui, depuis la déclaration adressée à toutes les cours par le maréchal Soult, le 17 juillet 1839, en faveur de l’intégrité de l’empire ottoman jusqu’au memorandum du 24 juillet 1840, n’avait su ou voulu voir, dans les affaires de l’Orient, que le côté qui intéressait l’équilibre européen. M. Guizot avait interprété la doctrine de l’équilibre en ce sens que l’occupation de l’Asie mineure par les Russes pouvait seule

  1. « Les ministres, m’a-t-on dit, ont été unanimes pour décider qu’une note serait adressée au gouvernement anglais contre l’exécution de la déchéance ; mais il existe entre eux un dissentiment sur les termes de la note. La majorité du ministère penche pour déclarer que le gouvernement français considérera l’exécution du firman comme un cas de guerre, tandis que quatre ministres sur neuf soutiennent la convenance pour le gouvernement français de communiquer ses sentimens sous une forme plus vague et moins hostile. » (Dépêche de lord Granville à lord Palmerston, Paris, 8 octobre.