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LA SALLE DES PRIX À L’ÉCOLE DES BEAUX-ARTS.

chent de préférence les architectes, les sculpteurs s’adressent aux sculpteurs, et quant aux peintres, eux qui sont de beaucoup les plus nombreux, ils se partagent et se divisent selon leur nature et leurs sympathies, les grands dessinateurs d’un côté, les grands coloristes de l’autre.

Ainsi l’ensemble de la composition se fractionne en cinq groupes distincts, mais artistement enchaînés. Au milieu le groupe idéal, l’art antique dans une sorte de demi-teinte et d’éloignement vaporeux, à droite le groupe des architectes, de l’autre côté les sculpteurs, puis, aux deux extrémités, les peintres.

Ces classifications symétriques, qui n’altèrent en rien l’unité du tableau, y introduisent un principe d’ordre, de clarté, d’harmonie, sans lequel il n’est point de véritable œuvre d’art. Ce ne sont pas des divisions sèchement accusées : elles ne se manifestent même pas au premier abord ; la réflexion seule les découvre. Elles servent comme de repos à l’œil du spectateur, qui, ne pouvant saisir d’un seul regard l’ensemble de cette longue série de personnages, a besoin de s’arrêter de distance en distance. Le problème était donc de faire, pour ainsi dire, plusieurs tableaux en un seul, de leur donner à tous une physionomie particulière, et de les relier si fortement entre eux, que les points de jonction fussent à peine visibles.

Ce n’est pas tout : dans chacun de ces groupes, on aperçoit bientôt des subdivisions, c’est-à-dire à côté de la scène principale des accessoires épisodiques qui s’y rattachent. Ainsi, quand vos yeux se tournent du côté des grands dessinateurs, ils sont frappés d’abord d’une noble figure de vieillard dont la longue barbe blanche laisse tomber ses reflets argentés sur une riche pelisse de velours cramoisi. C’est Léonard, le patriarche du dessin ; il expose de la voix et du geste ces fécondes et savantes idées dont son esprit ne cessa d’être assailli durant sa vie. Autour de lui tous gardent le silence ; Raphaël lui-même l’écoute avec respect, sinon avec une entière soumission. Fra Bartolomeo le contemple dans un pieux recueillement ; le Dominiquin s’attache à ses paroles avec une ardente curiosité ; Albrecht Dürer admire la justesse de ses démonstrations, et Fra Beato Angelico lui-même, s’arrachant à ses prières et à ses saintes visions, s’avance pour l’écouter. Mais tout le monde ne lui prête pas ainsi l’oreille. Seul, assis sur ce chapiteau renversé, tournant le dos à Léonard et à ses auditeurs, Michel-Ange semble faire bande à part ; absorbé dans ses propres idées, il ne cache pas son dédain pour celles des autres, et veut rester étranger à tout ce qui se passe au-