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Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 29.djvu/179

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UNE COURSE DANS L’ASIE MINEURE.

voisin pour qu’il fût prêt à nous secourir, et, selon lui, le poste avait été frappé de surprise par la bizarrerie de ces Francs qui s’arrêtaient ainsi sur la route, et pénétré d’admiration pour leur courage. Nous ne méritions certainement guère d’inspirer ce dernier sentiment, car nous n’avions vu passer personne, et nous n’avions pas songé un instant aux voleurs.

Ici se présentait la grande difficulté du voyage : gagner Sardes directement et sans retourner à Éphèse, en coupant le Tmolus, que nous n’avions pas le temps de tourner comme font ordinairement les voyageurs. Cette difficulté s’était aplanie pendant notre séjour à Éphèse. Marchand, toujours fidèle à son système de prudence, avait pour principe de n’apprendre à personne où nous allions, et nous recommandait d’en faire autant. Il était tout fier d’avoir imaginé de répondre aux questions qu’on lui adressait sur le but de notre voyage, que nous allions voir notre ami le pacha d’Aïdin, et il ajoutait gravement : Il ne faut jamais dire la vérité. Il paraît cependant qu’il avait renoncé à cette méthode, qui nous eût difficilement procuré les renseignemens dont nous avions besoin ; car lui et Ahmet étaient parvenus à savoir qu’il fallait, pour aller à Sart (Sardes), passer par Tireh, Baïndir, Berghir, et s’étaient fait indiquer le chemin de la première de ces trois villes.

Ainsi renseignés, nous nous acheminâmes vers Tireh, en remontant le lit du Caïster. Nous commençâmes par nous égarer, un Turcoman nous remit dans notre route. Cet homme, qui vivait sous une méchante tente de toile, avait l’air le plus simple, le plus noble, je dirais presque le plus distingué. Du reste, la dignité naturelle des manières est l’apanage des Orientaux ; dans les villes turques, on n’entend point ces cris, ces juremens, ces chants bruyans qu’on entend dans les nôtres. On ne voit jamais de dispute. Le portefaix a dans l’intonation de la voix, dans le geste, une singulière douceur et un grand calme. Aussi les fortunes rapides qu’amène le despotisme ne produisent-elles point ces contrastes choquans entre les manières et la situation qui frappent chez nos parvenus. En Turquie, un homme est batelier ; un jour le sultan l’entend chanter, trouve sa voix agréable, et le fait ministre de la marine. Le ministre n’aura rien à changer aux manières du batelier.

Nous avions dans Ahmet, notre postillon, une preuve frappante de ce que j’avance. Ahmet était un garçon très ignorant, ne connaissant que ses chevaux, En Europe, il eût été un grossier manant. Eh bien ! Ahmet avait tout naturellement l’aplomb sans rudesse, l’air