Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 30.djvu/809

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
803
LETTRES DE LA REINE DE NAVARRE.

tard la force de son petit-fils. Les hommes, protestans ou suspects de l’être, qui se recommandaient à elle par la culture des lettres, étaient sûrs d’avoir son appui contre les persécutions, appui qui ne fut pas toujours (telle était la rigueur des temps) assez puissant pour sauver du dernier supplice ceux à qui elle l’accordait. Le personnage dont il est question dans la lettre suivante, écrite par Marguerite à Anne de Montmorency, en est un exemple :

« Mon fils, depuis la lettre de vous par ce porteur, j’ay receu celle du baillif d’Orléans, vous merciant du plaisir que m’avés fait pour le pauvre Berquin, que j’estime aultant que si c’étoit moy-mesmes, et par cela pouvés-vous dire que vous m’avez tirée de prison, puisque j’estime le plaisir fait à moy. » Voici ce qu’était le pauvre Berquin, à qui Marguerite s’intéressait avec autant de vivacité. Berquin (Louis), gentilhomme artésien, était conseiller de François Ier ; Radius l’appelle le plus savant de la noblesse. Dénoncé au parlement, en 1523, comme fauteur du luthéranisme, il refusa de se soumettre à l’abjuration à laquelle il fut condamné. Sa qualité d’homme de lettres le sauva pour cette fois. Retiré à Amiens, il se remit à imprimer, à dogmatiser et à scandaliser. Nouvelle censure de la faculté de théologie, nouvel arrêt du parlement (1526). La reine de Navarre vint à son secours par le moyen du grand-maître Anne de Montmorency. Érasme conseillait à Berquin ou de se taire ou de sortir de France, l’obstiné prêcheur ne voulut ni l’un ni l’autre. En 1529, il fut repris et condamné au feu… « Le vendredi XVIe jour d’avril, mil VC XXIX, après Pasques, un nommé Loys Berquin, escuier, lequel, pour son hérésie, avoit été condampné à faire amende honorable devant l’église Nostre-Dame de Paris, une torche en sa main, et illec crier merci à Dieu, à la glorieuse vierge Marie, pour aulcuns livres qu’il avoit faicts et desquels il vouloit user contre nostre foy, d’illec mené en la place de Grève, et monté sur ung eschaffault pour monstrer le dict Berquin, afin que chascun le vist, et devant lui faire un grand feu pour brusler tous les dits livres en sa présence, afin de n’en avoir jamais nulle cognoissance ne mémoire ; et puis mené dedans ung tombereau au pillory et illec tourné, et avoir la langue percée et la fleur de lys au front, et puis envoyé ès prisons de monsieur de Paris pour achever le demourant de sa vie. Et pour veoir la dicte exécution, à la sortie du dict Berquin qui estoit au Pallays, estoient plus de XX mil personnes. Et luy ainsy condamné en appela en cour de Rome et au grand conseil, par quoy par arrest de la cour du parlement, le lendemain, qui estoit samedy XVII du dict apvril, fut con-