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cachot ; du commencement à la fin, cette musique vous suffoque à force d’être vraie. Nulle fantaisie n’en modère par momens la rigoureuse austérité ; nulle brise du ciel, nul tiède rayon n’y pénètre ; vous ne trouvez là que larmes et sanglots ; au dernier finale seulement, le jour se fait, la joie éclate, une joie de Beethoven, soudaine, spontanée, étourdissante ; vous passez sans transition aucune du cri de détresse au chant de délivrance, des sanglots étouffés aux accens d’une ivresse qui ne se contient plus. Votre oreille, accoutumée aux nuances si habilement ménagées de l’école de Mozart, se raidit presque contre une si abrupte péripétie qui, de gré ou de force, vous entraîne, non sans vous faire éprouver, toutefois, quelque chose de cet éblouissement d’un homme sorti de l’obscurité d’un souterrain pour se trouver subitement en plein soleil. On ne saurait appeler ce morceau qui termine la partition de Beethoven un finale. Le finale, tel que l’entendent les grands maîtres de la scène, et Mozart en particulier, dans les Nozze di Figaro et Don Juan, tient à l’action par d’invisibles ressorts, et forme avec la pièce partie intégrante et nécessaire ; ici, au contraire, que voyons-nous ? une péroraison sublime, un hymne d’actions de graces magnifique, et fait pour émouvoir et soulever d’enthousiasme un auditoire, mais sans connexion absolue avec l’ensemble, et qui, détaché de la partition et porté ailleurs, dans un concert, par exemple, n’en semblerait pas moins une œuvre une et complète. Je comparerais volontiers ce finale de Fidelio à l’épilogue dans le ciel que Goethe a mis au dénouement de son poème de Faust, à cette gloire qui s’ouvre et rayonne après la consommation des choses. Il faut voir, dans l’hymne de Beethoven comme dans la fantasmagorie de Goethe, une manière grandiose de conclure, un splendide hors-d’œuvre ; mais, franchement, ce n’est point là un finale, pas plus que le sublime dialogue entre Léonore et le geôlier, occupés à creuser la fosse du prisonnier, n’est un duo. On n’échappe pas à sa vocation ; les formes instrumentales règnent et d’une manière aussi despotique dans Fidelio que dans tous les chefs-d’œuvre que Beethoven a jamais composés. C’est une symphonie que cet opéra, mais quelle noble et dramatique symphonie !

La représentation de Fidelio, que la troupe allemande vient de donner dans sa soirée d’adieux, et qui a été comme le dernier soupir de cette malheureuse entreprise ; cette représentation, si imparfaite, si défectueuse qu’elle ait pu être, n’en a pas moins ému l’intérêt du plus grand nombre et provoqué, à certains endroits, de sincères mouvemens d’enthousiasme. Il y a dans le personnage de Fidelio, à côté de difficultés vocales presque insurmontables, des conditions de sentiment, de pantomime, de physionomie, qui rendront toujours impossible à la scène d’atteindre l’idéal de la création de Beethoven. Il faudrait la Malibran pour une tâche si imposante, et, disons-le, si laborieuse ; et encore la voix de la Malibran, cette voix fragile dans sa force, eût-elle résisté à tant de secousses formidables, à cet assaut perpétuel que livre l’orchestre au chanteur ? Vous vous souvenez de la Devrient dans ce rôle, de ce blond Fidelio si plein de mélancolie et de tendresse, dont les beaux yeux