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LES AFFAIRES DE CHINE ET DE L’AFGHANISTAN.

revues, et nous aurons le plaisir de raconter à nos lectrices les mouvemens de son excellence l’ambassadeur chinois, depuis le haut du dôme de Saint-Paul jusqu’au fond d’un puits à charbon de Durham, et à dire comment il a exprimé sa satisfaction des manœuvres de l’artillerie anglaise, etc. »

Nous serons curieux, nous aussi, de savoir comment seront réglées les questions de cérémonial, et comment seront ordonnées les réceptions de l’ambassadeur anglais à Pékin et de l’ambassadeur chinois à Londres. Les questions d’étiquette ont aussi leur importance, et si nous étions tenté de rire des singulières cérémonies pratiquées à la cour du céleste empereur, nous n’aurions qu’à nous rappeler qu’il n’y a pas en ce moment d’ambassadeur français à Madrid, parce que les deux cours n’ont pas été d’accord sur la manière de remettre des lettres de créance. Les missions des puissances européennes auprès de l’empereur de la Chine ont toujours échoué à l’endroit du cérémonial, et, dans l’histoire des nombreuses ambassades tentées par les gouvernemens de l’Occident, on voit presque toujours les envoyés reculer devant l’humiliante cérémonie du ko-tou. Le ko-tou consiste à se jeter à genoux à un signal donné, et, à un autre signal, à courber neuf fois la tête jusqu’à terre. Lors de la première ambassade russe, en 1655, l’envoyé refusa d’exécuter les neuf prostrations, et il fut congédié sans cérémonie. Un envoyé hollandais, qui vint à Pékin dans la même année, pensa être plus heureux en se soumettant à la cérémonie, mais l’empereur ne voulut accorder à son gouvernement que le privilége d’envoyer en Chine une fois tous les huit ans une expédition qui ne serait pas composée de plus de cent individus, dont vingt seulement viendraient à Pékin. La manière dont fut réglée la préséance des envoyés en cette occasion peut montrer le degré de considération que possédaient les barbares à la cour céleste. Le premier rang fut donné au représentant des Tartares occidentaux, qui arriva vêtu en peaux de mouton, avec une queue de cheval à son bonnet, et des culottes qui lui venaient aux genoux. Après lui vint un ambassadeur du grand Lama, le supérieur spirituel des conquérans tartares de la Chine. Ensuite parut l’envoyé du Grand-Mogol, Shah-Jéhan, seigneur de l’Indoustan, d’une partie de la Perse, du Deccan, et de cent millions de sujets. Celui-ci se montra en grande pompe, apportant en présent trois cent trente-six chevaux et des diamans, ce qui ne l’empêcha pas de passer après le Tartare en peaux de mouton et l’envoyé spirituel en simple robe jaune. Le Hollandais vint le dernier, « et, ajoute la narration à laquelle nous empruntons ces détails, s’il avait dit qu’il venait de la part d’une simple compagnie de marchands, il est probable qu’il aurait été tout-à-fait privé de la céleste audience. »

Une seconde ambassade russe fut envoyée à Pékin en 1720, par l’empereur Pierre Ier. Un voyageur anglais, Bell d’Antermony, qui l’avait accompagnée, en a fait la relation. L’envoyé moscovite, Ismaïloff, fit tout ce qu’il put pour esquiver le ko-tou, mais en vain. Il fallut faire les neuf prostrations au commandement du maître des cérémonies, qui prononçait en langue tartare les mots morgu et boss, qui signifient à genoux et debout, « deux mots, dit Bell,