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a pas de procédés pour refondre d’un seul jet les élémens d’une société vieillie ; c’est l’œuvre fatale du temps et des révolutions. En discutant les mesures proposées comme remède à la misère, nous aurons occasion de relever quelques opinions hasardées. Commençons par rendre hommage au talent de M. Buret et à ses généreuses sympathies : une compassion réelle pour les infortunes d’autrui lui a inspiré des pages dont pourraient s’honorer d’habiles écrivains. Son second livre surtout offre, sur l’état économique de la Grande-Bretagne, des révélations dont la crise à peine épuisée a renouvelé le douloureux intérêt. Nous ne sortirons pas de notre sujet en observant avec attention ce qui se passe dans ce pays ; ce n’est rien moins, comme l’a dit M. Buret, qu’une vérification de l’économie politique par les faits ; c’est une expérience dont les péripéties seront longues et cruelles, mais bien plus concluantes que toutes les controverses des écoles.

Il y a long-temps que la société anglaise s’est accoutumée à considérer la misère des classes laborieuses comme une nécessité sociale. De ce que les crises industrielles, les émeutes d’ouvriers ont été surmontées jusqu’à ce jour, on conclut qu’il en sera toujours ainsi, sans penser que la condition des classes pauvres a été profondément modifiée par la loi substituée, en 1834, au statut d’Élisabeth. Aux termes de cette ancienne législation, chaque paroisse devait procurer aux indigens des moyens de subsistance, soit par un travail productif, soit par l’aumône. Le conseil des officiers municipaux recevait les demandes, arbitrait les besoins, taxait les riches dans la proportion de leur fortune présumée. Ce système recélait en germe beaucoup de scandales et d’injustices. L’inégalité des charges entre les localités était révoltante. La loi semblait moins faite dans l’intérêt des pauvres qu’au profit des entreprises de grande culture ou d’industrie. Une allocation supplémentaire étant due à l’ouvrier dont le gain était reconnu insuffisant, le maître échappait à la nécessité de faire vivre ceux qu’il employait ; il pouvait baisser les salaires sans crainte d’arrêter les travaux ; les paroisses payaient en réalité une grande partie de la main-d’œuvre au profit des spéculateurs. Est-il étonnant que, sous un pareil régime, la subvention annuelle accordée au paupérisme, pour l’Angleterre et l’Irlande seulement, ait dépassé 200 millions de francs ?

Cet état de choses, si déplorable qu’il fût, avait du moins l’avantage d’offrir aux malheureux un secours acceptable et d’amortir leur désespoir. Mais, la dépense devenant excessive, une réforme fut jugée nécessaire et opérée en 1834, avec cette décision qui caractérise la politique anglaise. On se proposait de corriger l’inégalité des charges, d’économiser cette part de la subvention qui ne profitait qu’aux chefs d’industrie, et surtout de diminuer le nombre de ceux qui réclament assistance. Ce triple but fut atteint. Aujourd’hui une vingtaine de paroisses forment un arrondissement qui choisit par élection une administration spéciale, appelée bureau des gardiens. Les membres de ce bureau sont juges souverains du droit des pauvres et de l’intérêt des contribuables. On compte environ cinq cents unions de ce genre ;