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III.

Nous avons montré le mal sans l’affaiblir. Nous espérons donc que notre sincérité ne sera pas mise en doute, maintenant qu’il nous reste à rechercher si les remèdes proposés ne seraient pas plus dangereux que le mal lui-même. Quand on a consulté les écrits relatifs au paupérisme, on demeure étonné de la multitude et de la diversité des causes assignées à la misère. De ces causes, les unes sont personnelles, comme la paresse et l’immoralité trop communes dans les classes inférieures ; les autres sont fatales et heureusement passagères, comme les guerres et les fléaux meurtriers : le plus ordinairement, le mal a sa racine dans les institutions du pays, et dérive du régime politique, des impôts, des monopoles, de l’impéritie des gouvernemens. La difficulté qui domine toutes les autres est la pondération du capital et des salaires. Il est difficile d’aborder sans émotion cette controverse qui a été envenimée si souvent par l’esprit de parti, ou par l’irritation fort excusable de ceux qui souffrent. Soyons calmes, s’il se peut, pour bien voir ; soyons sans passion pour juger sainement.

Qu’on se figure un pauvre paysan dénué d’instrumens et réduit à gratter péniblement un coin de terre inculte : il fait une dépense énorme de ses forces pour obtenir au jour le jour une chétive existence. Parvient-il à économiser sur ce qu’il récolte la valeur représentative de plusieurs journées de son travail ; il achète une bêche, au moyen de laquelle sa tâche est moins fatigante et plus productive : il est devenu, pour ainsi dire, un homme double. L’épargne lui est d’autant plus facile que le bénéfice est plus grand : avec le temps, il achètera un cheval, une charrue et dès-lors il aura concentré en lui-même la puissance d’une douzaine d’hommes. Qu’on pousse la progression à ses dernières limites, et on arrivera au banquier qui tient condensée dans son portefeuille une force équivalente à celle de plusieurs millions d’êtres humains ; car l’argent ajoute à la valeur individuelle de son possesseur toute la vitalité de ceux qu’il peut salarier. À ce point de vue, un grand capitaliste nous apparaîtra comme une sorte de Jupiter, qui, d’un seul froncement de ses sourcils, peut faire entre les peuples le calme et la tempête. Nous avouons qu’il est difficile de résister à un premier mouvement de dépit, en voyant une puissance exorbitante attribuée à des hommes qui la justifient assez rarement par leur mérite ; mais, en s’élevant au-dessus de ces considérations mesquines, et abstraction faite des individus favorisés par l’aveugle fortune, on reconnaît que la surabondance des richesses en certaines mains est avantageuse pour la société entière. Dans un état de civilisation peu développé, avant la formation d’un capital mobile et consacré au jeu des grandes spéculations, il faut que les gouvernemens conservent, pour les circonstances imprévues, un trésor en espèces métalliques, ce qui stérilise des sommes